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Biographie De L'auteur

  • : Le blog de Joëlle Carzon écrivain du Loiret
  • : Ce blog est destiné aux écrivains et aux lecteurs qui aiment romans et poésies. Il présentera tous les écrits et toutes les activités de Joëlle Carzon, auteur de poèmes et romans. Ce blog n'est pas destiné à recevoir des messages violents, ou politiques, ou religieux. (Suite à un messages troublant reçu ce jour : 25/12/12)
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textes littéraires de l'auteur

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16 novembre 2013 6 16 /11 /novembre /2013 09:37

AH ! CINE d'abord : Frances Ha, Noah Baumbach

Montargis, 15/9

Greta Gerwig

Un film en noir et blanc, très new yorkais. Une grande fille gauche de 27 ans, danseuse, partage une location avec sa meilleure amie. Mais elles se séparent et Frances va d’appartement en appartement, de co-locataire en co-locataire. Elle est charmante, mais elle s’y prend mal pour tout. Une escapade à Paris, par exemple, se révèle une catastrophe.  La fin est plus optimiste et montre la jeune femme devenant chorégraphe et emménageant dans un joli appartement. Charmant  film, bien rythmé, avec un portrait de jeune femme un peu paumée très réussi. (C’est une bonne reprise du cinéma après un mois et demi sans.)

 

Une place sur la terre, Fabienne Godet

Montargis, 24 septembre

Benoit Poelvoorde

Encore un paumé. Un bon photographe alcoolique et paumé. Qui sauve et rencontre une jeune femme perdue qui le sauvera à son tour. « Une gigantesque pub pour la clope », ai-je écrit dans mon journal. Clope, clope, clope, whisky, whisky, whisky… Je n’ai pas été convaincue par ce film, sauf la sympathie qui lie cet homme à un petit voisin, qui est très mignonne, très bien racontée.

 

28/9 CONCERT Mozart Schubert à Bonny

 

  

Blue Jasmine, Woody Allen (V.O.)

Cate Blanchett, Sally Hawkins

Montargis, 4/10

C’est le dernier et très sombre Woody Allen. C’est noir, noir, sans espoir. L’héroïne est perdue dès le début du film et ne sera pas sauvée. C’est ce que reprochent certains critiques (hier soir 6 octobre, Masque et la Plume). Mais Cate Blanchett fait là une performance étonnante : quelle actrice ! Et c’est extraordinairement bien raconté, avec une galerie de personnages très bien observés. Un portrait d’une Amérique cruelle. Le film se passe sur deux époques et les flashbacks ne sont pas du tout gênants. Tout est parfait.

 

10/10. Déjeuner UTL à Nevoy, ferme-auberge Le Tranchoir.

 

Prisoners, Denis Villeneuve

Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal

Montargis, 11 octobre

Film de 2 h 35 très inquiétant. Denis Villeneuve est le réalisateur d’”Incendies” que j’avais beaucoup admiré. C’était une œuvre qui touchait à la tragédie grecque. Là aussi la tragédie est terrible puisqu’il s’agit de la disparition d’enfants et de la poursuite de Satan. Mais où est le diable dans un monde où le père d’une des fillettes se transforme en monstre ? C’est aussi le portrait sombre d’un homme obstiné (le policier) qui, à un seul moment et à son désavantage (et au désavantage de l’enquête), perd également les pédales. Denis Villeneuve est un Grand.

 

9 mois ferme, Albert Dupontel

Montargis, 18 octobre

Sandrine Kiberlain, Albert Dupontel

Enfin un film marrant. Très réussi. Un Albert Dupontel au sommet de sa forme. Rires, tendresse, sens du récit. Contrairement à ses autres films, Dupontel a choisi ici plus la tendresse que la méchanceté et c’est vraiment très bien.

 

20/10 Opéra-Bastille + Mimie et ses amis : Aïda, Verdi.

 

 

 

14/11 Val d’Yerres – Propriété de Caillebotte – Brunoy (91) - une journée amicale.

 

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DU COTE DES LIVRES :

 

"Du côté de chez Swann", Marcel Proust.

Comme je l'ai peut-être déjà dit, j'ai entrepris la tâche (le plaisir) snob de relire Proust.

Je fais mille choses depuis septembre : poèmes, nouvelles, et roman (en particulier "Déesse" ces temps-ci) sur www.les-ecrits.fr, je m'occupe de mes amis poètes, je vais écouter de la musique, et je soigne mon pauvre dos (de l'arthrose, à mon âge !), donc ma lecture n'est pas très rapide.

 

Mon exemplaire n'est pas un exemplaire Folio mais Livre de Poche (que ma mère m'avait acheté lorsque j'étais en Première avec Mme Galzy) que je préfère nettement aux Folio.  La couverture sépia reproduit une page des carnets et une photo du jeune Marcel Proust.

 

L'enfance, la maman qu'on attend le soir, les fleurs qui sont comme la mer, les fameuses aubépines, l'assassinat du poulet par Françoise (p 146 LP), Bergotte, les Verdurin, et of course la madeleine dans le thé... Quel délicieux plaisir : inutile vraiment de se presser !

 

P 45 : "Mais depuis peu de temps, je recommence à très bien percevoir, si je prête l'oreille, les sanglots que j'eus la force de contenir devant mon père et qui n'éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman. En réalité ils n'ont jamais cessé ; et c'est seulement parce que la vie se tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau, comme ces cloches de couvents que couvrent si bien les bruits de la ville pendant le jour qu'on les croirait arrêtées mais qui se remettent à sonner dans le silence du soir."

 

P 165 : la haie d'aubépines.

P 119 : un nouvel écrivain.

412-414 : Swann (entre autres pages).

P 203 : les nymphéas.

P 392-93 : Le snobisme et la musique,

 

etc.

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UN POEME DE MON AMI CLAUDE SCHROEDER, que je viens de retrouver (l'ami) :

 

A BARENTON

 

A Barenton, en Brocéliande,

Au coeur de la forêt songeuse,

Tout au coeur du silence immobile de nulle part,

Là où ne conduisent pas les chemins ni les sentes,

Coule transparente et glacée,

L'eau sommeillante de la Fontaine étrange...

Merlin y rencontra Viviane, dit-on...

Les uns

Assurent que la fée contre lui en retourna les charmes,

Les autres,

Que l'enchanteur connaissait l'heure et le lieu,

Lequel envoûta l'autre ?

Tel croit savoir qui s'y trompe, et qu'importe ?

Ils s'aimèrent, et toujours.

L'amour vrai se rit du visible,

Echappe au temps, se joue des apparences,

Et fait monter des eaux le sortilège,

L'eau n'est magique que pour ceux qui, ensemble déjà, marchent vers elle,

Merlin et Viviane à jamais éblouis...

 

Vous qui aimez, en marche l'un vers l'autre,

Que longtemps encore,

Dans le secret de Brociélande,

Coule pour vous l'onde magique de Barenton.

 

2000

(Pour Marguerite et Philippe)

 

Claude Schroeder habite l'Yonne et est né en 1930.

 

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1/12/13

VISITES NOVEMBRE 2013 : 67 - 139 pages vues - Visites totales depuis 2009 : 960.

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Avant fin décembre 2013 peut-être : j'aurai atteint mes MILLE VISITEURS !

 

ALORS CHAMPAGNE !!

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Sur http://www.les-ecrits.fr : Plus de 400 lecteurs pour "D'un tableau de Constable" (écrit en 1975) - Ce sont les écrits de ma jeunesse qui ont le plus de succès sur ce site, dans doute parce que les lecteurs sont des gens qui lisent sur tablettes, donc des jeunes, et les jeunes se reconnaissent dans la jeune fille que je fus. (?)

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3 novembre 2013 7 03 /11 /novembre /2013 07:06

Emilien Davidenko est un poète classique français, d'origine russe. Il a fini sa vie aux Choux (Loiret). Plusieurs de ses poèmes ont été publiés en 2003, après sa mort, dans la revue "L'Albatros".

Il vécut une guerre difficile, fut emprisonné à plusieurs reprises en Allemagne, et réchappa de tout cela  par miracle.

 

 

 

SONNET

 

Si tu veux que la vie te soit tranquille et douce,

Et, tout au long du jour, qu’elle ait le goût du miel,

Le parfum de la fleur et la couleur du ciel,

L’harmonie de l’accord et la soie de la mousse,

 

Si tu veux que la vie ne te soit que quiétude,

Que paix intérieure et que sérénité,

Si tu veux que la vie ne te soit que beauté,

Que paisible parcours et que béatitude,

 

Si tu veux que la vie glisse comme un sampang

Sur le calme des eaux que la brise caresse,

Si tu veux que la vie te soit comme un étang

 

Où s’ouvrent au soleil les fleurs de la sagesse,

Garde au coin de ta lèvre, en permanent visa,

Le sourire infini de la Mona Lisa.

 

 

L’ETOILE PERDUE

 

J’ai longtemps recherché l’étoile frémissante

Qui, dans l’infini bleu, lorsque j’étais enfant,

Ne brillait que pour moi, languide et caressante,

Et scintillait fidèle à mon ciel triomphant.

 

Des jours étaient venus, de souffrance, d’envie,

De rêves interdits, et j’appelais souvent

Mon étoile perdue, emportée par la vie,

Dans un grand tourbillon de fracas et de vent.

 

Longtemps, par les contrées, incertaine requête,

Et parmi les humains, fallacieux espoir,

J’en avais poursuivi l’infatigable quête.

 

Et puis, en me penchant sur ton visage, un soir,

Quand je désespérais dans mon âme éprouvée,

C’est au fond de tes yeux que je l’ai retrouvée.

 

 

EGLOGUE

 

Aux jardins enchantés que mes rêves te donnent

Un bosquet plein d’oiseaux abritant mes espoirs

Ombrage un étang bleu où des roseaux frissonnent,

Étrangement troublés par la langueur des soirs.

 

Trompée par les bergers dont les pipeaux résonnent,

Une dryade en pleurs conte ses désespoirs

Aux grands chênes émus que les mousses couronnent

Et Narcisse, extasié,  sourit à ses miroirs.

 

Dans le jour finissant, les ombres s’alanguissent ;

Je te prends par la main, nos pas lentement glissent

Vers le secret bocage où Cupidon narquois

 

Se saisit d’une flèche, ôtée de son carquois ,

Tandis qu’un rossignol offre aux nymphes rêveuses

Ce chant mélodieux qui fait les nuits heureuses.

 

 

  

STANCES A NOS BAISERS

 

La place où je dépose un baiser est nacrée.

Fine comme la soie, elle a le goût du miel ;

Tiède comme le nid, veinée du bleu du ciel :

La place où je dépose un baiser est sucrée.

 

La place où je dépose un baiser est fragile.

Le reflet tamisé de la lune au décours

N’a pas cette douceur de lis et de velours :

La place où je dépose un baiser est subtile.

 

La place où je dépose un baiser est romance,

La musique, amoureux écho dans le vallon,

A le frissonnement des trilles du violon :

La place où je dépose un baiser est cadence.

 

La place où je dépose un baiser est ardente,

Elle a la fulgurance éblouie du désir

Et l’aveu retenu des marques du plaisir :

La place où je dépose un baiser est fervente.

 

La place où je dépose un baiser est fragrances.

Elle a le goût du vent, la fraîcheur des embruns,

La chaleur des étés, le poivre des parfums :

La place où je dépose un baiser est nuances.

 

Le bouquet de baisers, comme un épithalame,

C’est le chemin fleuri que pour toi j’ai ouvert ;

Je t’y ai amenée lorsque j’ai découvert

La place où tu cachais tes baisers dans mon âme.

 

Émilien Davidenko

  

Gâtinaise

 

Si près, le Loing ;

Loin, les cyprès...

Les cyprès des prés

Me semblent si loin.

Si loin que le Loing

Me semble si près !

 

Et si les cyprès

Me semblent si loin,

C’est parce que les prés

Sont près des cyprès

Et si loin du Loing !

 

 

C’était toi !

 

Je t’avais reconnue dans l’inconnue si brève

Qui m’était apparue comme née du matin.

Parce que tu avais surgi comme d’un rêve,

Le moment avait pris la couleur du destin.

 

Image fugitive au parfum d’élégie

Que depuis si longtemps espéraient mes émois,

Dans ce si bref instant j’ai vécu la magie

D’un sentiment violent et doux tout à la fois.

 

Ta tresse brune était un signe d’espérance

Venu d’une irréelle et lointaine obsession

De ton reflet perdu, et, songe sans substance,

Mon rêve était d’espoir et de prémonition...

 

C’est un matin d’avril que tu m’es revenue

Dans l’éblouissement d’une ivresse inconnue.

Alors tu as donné à mes rêves enfouis

La jouvence de tes vingt ans épanouis.

 

 

Images : Idylle

 

L’étang, lourd de secrets, sommeille en sa torpeur.

Ses eaux, comme un miroir, reflètent son rivage.

Parmi les nymphéas, je crois voir un visage

Dans une nonchalante et subtile vapeur.

 

Comme un songe l’ondine aux longs cheveux dorés

Émerge lentement, se pose langoureuse

Et contemple pensive et les yeux éplorés

La fontaine où rêvait Mélisande amoureuse.

Une blonde naïade a surgi de la vasque

D’un mouvement mutin a relevé son masque,

Et puis a fredonné un air de bergamasque,

Dans un gai tourbillon sensuel et fantasque.

 

Et la brise du soir agite les roseaux

Dans l’immobilité caressante des eaux

Où d’étranges rumeurs furtives et troublantes

Promettent au passant des nuits ensorcelantes.

 

- Habitantes des eaux, éphémères visions,

Nymphes du Bois sacré, vous, chastes oréades,

Vous, nixes  des brouillards, charmeuses illusions,

Napées des frais vallons, belles hamadryades,

 

Femmes-fleurs qui voyez éclore le printemps,

Amantes enchantées, filles subliminales,

Vous qui m’apparaissez dans les eaux vespérales,

Laissez-moi vous aimer, ne serait-ce qu’un temps !...

 

Il me semble soudain que s’agitent les ombres

Des hêtres torturés aux gestes menaçants

Qui tressaillent d’émoi dans les profondeurs sombres,

Et que sourdent aussi des rires grimaçants.

 

Alors, le vent du soir distinctement murmure :

- Poète des passions et des subtilités,

Par un impérieux décret de la Nature,

L’amour est interdit à nos divinités !

 

CHANSON TENDRE EMILIEN DAVIDENKO :

(1er paragraphe traduit en anglais le 24/12/12 pour mon blog- Twitter – Facebook.)

 

Come on, you’ll tell me your pain.

Against our harmony she will break.

So you peace of mind will come back to you,

And I’ll kiss your brow.

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Viens au creux de mon bras, tu me diras ta peine.

Contre notre harmonie elle ira se briser.

Ainsi te reviendra la quiétude sereine,

Alors je poserai sur ton front un baiser.

 

Viens au creux de mon bras, tu me diras ton doute.

Les chemins de la vie te seront plus aisés

Quand notre certitude indiquera la route,

Alors je poserai sur tes yeux deux baisers.

 

Viens au creux de mon bras, tu me diras ton âme.
Guidés par sa clarté nous irons au tréfond,

Et nos mains enlacées protégeront sa flamme.

 

Dans un attachement immuable et profond,

Alors mon chant d’amour te bercera sans trêve.

Viens au creux de mon bras, tu me diras ton rêve.

 

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LES YEUX DES FEMMES

 

Les yeux des femmes sont des gouffres de mystère.

Comme les yeux des chats et les yeux des étangs

Qui reflètent au soir, promesse de Cythère,

Le miroir où l’ondine éblouit le printemps.

 

Les yeux des femmes sont les loins de l’au-delà

Où veillent à jamais les Vestales antiques ;

Ils ont la profondeur des forêts germaniques

Où s’égarent encor les dieux de Walhalla.

 

Il est des yeux de loup qui brisent les extases

Et des yeux de gazelle édictant des oukases.

Et, si les yeux d’azur des Emma Bovary

Ensorcellent l’amant au fond du tilbury

 

Il est des yeux de miel aux reflets d’avelines,

Des yeux profonds de lac aux aigues assassines,

Et, certains yeux de proie aux regards corrosifs

Deviennent quelquefois tendrement allusifs.

 

J’ai vu des yeux dormants où la passion brasille

Que peuvent incendier les fureurs de Camille ;

J’ai vu des yeux marine aux tons de portulans

Voguer vers d’autres cieux parmi les goélands.

 

J’ai vu des yeux de rêve, absolus et étranges,

Des yeux d’acier glacés, absents et sans émoi ;

J’ai vu dans bien des yeux des bêtes et des anges,

Hormis dedans les tiens, où je n’ai vu que moi.

 

1993 

3/11/13 - 15 heures.

P.S. Emilien Davidenko qui fit lire à sa femme Nicole "La Recherche du temps perdu", ce qui me fait rajouter ceci : je suis toujours dans la relecture de "Du côté de chez Swann" et, comme promis, avec les films de l'automne 2013, j'en parlerai prochainement.

(à suivre donc...)

 

 

 

 

 

 

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29 octobre 2013 2 29 /10 /octobre /2013 11:43

 

 

Samedi, 26 juin 1976

 

            C’est difficile de porter en soi quelqu’un qui est plus qu’un enfant ou un dieu. D’une vision au début de l’été, peut-être la dernière, je veux garder une marque d’espérance. Une marque. Pas un vague souvenir, pas une relique de grisette : une marque. Une inscription qui fait mal et qu’on porte sur soi comme une blessure. Je dis souvent : “Regardez-moi”, parce que la solitude s’imprime jusqu’aux paroles, ces paroles qui sont l’aveu d’une défaite et qui vont jusqu’à faire tendre la main pour la pitié. Je hais la pitié, et ce “regardez-moi” est la pire des humiliations. Mais dans le

regard, il n’y a pas seulement le regard des autres ; il y a aussi l’aventure, la découverte, la révélation : mon regard. Mon regard qui, myope et brouillé par la peine, sait parfois s’arrêter sur quelqu’un et être bouleversé. Eclat et éclatement ; un jour, un hasard... Pour ce seul choc, j’arrive à remercier la vie.

            Vous êtes un magicien, un sorcier, le héros des songes, je ne sais quoi... Quel est votre secret pour ne m’être apparu jusqu’à présent que dans des visions ? Des visions, deux ou trois c’est tout, qui ont fait naître des larmes de bonheur : cet automne, élancé et grave au milieu d’un groupe d’adultes, lumineux et les éclipsant tous, sans peine... Ce même automne encore, au sommet d’un escalier, descendant vers un moi minuscule au centre de sa fascination... Et cet été enfin... Mais je mélange les saisons, je le sais, je ne peux que confondre les époques, ne plus me reconnaître dans ce dédale d’émerveillements, ne plus distinguer ce qui est au jour ou au rêve. Où êtes-vous ? Qui êtes-vous, quel pouvoir avez-vous pour devenir la lumière, le temps et les mots ? Je vous ai vu si peu..., et je retiens chaque seconde de mon regard vers vous comme un miracle, chaque geste de vous comme une création de magie. Vision, vision... Il faudrait répéter à l’infini ce mot, qui chaque fois est comme le coup de baguette de “l’apparition”. VOUS ETES UN MONDE AUQUEL JE N’APPARTIENDRAI JAMAIS.

            C’est aujourd’hui que j’ai décidé cela, sans trop de souffrance (elle viendra sans doute plus tard, je l’attends avec ma certitude découragée). Aujourd’hui, au début de l’été. Il fait très chaud, si chaud que les bêtes et les hommes étouffent. Dans notre jardin ce soir, nous avons vu mourir un oiseau. Le petit corps étouffait lentement, dans des soubresauts fiévreux ; il ne regardait déjà plus le monde, il était indifférent à nos yeux humains. Il a agonisé près de nous, sans crier, et sa mort m’a rappelé ma soumission à l’oubli. Je vous oublierai, acte volontaire, non... Je vous abandonnerai plutôt, parce qu’on peut rêver, il n’y a pas encore de loi punissant le rêve, mais la débilité a ses limites. Je peux être assez faible pour m’agenouiller devant vous, simple témoignage d’admiration et d’amour (ce qui est pour moi une même chose), mais je n’irai pas mendier. Doux abandon sans vrai courage... Mais si, tout de même, je dois avoir un peu de courage pour vouloir me décrocher de mon rêve. C’est comme si on demandait à un alpiniste de lâcher une paroi, uniquement pour la beauté de la chute. Il ne le ferait pas, c’est évident, moi je le fais. Il vaut mieux voir grandir et éclater un rêve dans un vertige que le voir se traîner comme un âne fatigué et têtu. Je préfère la chute et l’engloutissement que la culture d’une fleur de serre. Même si cette fleur est belle. Je préfère la détruire, déchirer ses pétales et l’arracher ensuite, que la voir se faner devant moi, spectatrice désolée mais consentante.

 

            Toutes ces phrases pour un rêve impossible. Je mens, je me doute que je suis en train de mentir. Les visions marquent la vie. Les visions n’ont pas la fadeur des souvenirs. Une vision ne deviendra jamais un souvenir. Un fer rouge a marqué. Je porte vos initiales sur mon front et c’est pour ça que je délire. Je suis prisonnière de trois ou quatre apparitions d’un être, sublimes, fascinantes, éprouvantes aussi pour une gamine. Je lève la tête, bien sûr ; j’apprends à reconnaître la tentation, le désir du défi et du mensonge. C’est déjà beaucoup, non ? Défier, mentir, cracher, voler également... Comme je suis fière d’avoir volé ! (J’ai volé votre livre dans une librairie.) Comme je serais heureuse de pouvoir cracher, comme ça, simplement

parce que j’en aurais envie, sur les sales gueules de certains passants !

            Une île de fraîcheur au centre de Paris. La Seine n’est pas loin. Il fait si chaud que les gens marchent comme des fantômes. Paris est devenu un château hanté. Les chemises ouvertes et les robes de couleur font flotter leurs mouchoirs. Mais pour oublier l’air vibrant et lourd, il suffit d’entrer ici. Tout s’apaise, la chaleur et la vie du dehors. Ma banlieue est très loin. Après tout, nous sommes à Paris. J’ai entrepris un grand voyage pour venir jusque dans ce lieu clos, où l’intelligence est offerte aux initiés et votre présence à moi. Je suis au royaume des rêves.

            Sur une table, on a aligné des verres, la bouteille d’eau passe de main en main et, par-dessus tout cela, on échange les paroles et les sourires. Des yeux s’amusent ; chaque lueur personnelle s’allume et s’éteint, vive, et je les reconnais tous à cette lueur, à cette vivacité heureuse de gens qui vont bientôt partir et vivre pleinement l’été. On m’a accordé une parcelle du royaume, je la prends, je ne la laisserai pas pour tout l’or du monde.

            Vous êtes là, vraiment, mais toujours irréel, de plus en plus... Nous appartenons à deux terres étrangères. Il ne s’agit plus de lâcheté ou d’impossibilité de vous atteindre, il s’agit d’une frontière infranchissable. Pourtant, si beaucoup vous connaissent, aucun ne vous connaît et ne vous aime mieux que moi, qui vous possède par l’intermédiaire de mon rêve. Le rêve est la forme de l’amour la plus moquée et la plus réussie dans la communication. Ailleurs, au-delà, très loin des autres hommes, tout devient possible, même se comprendre. Restez où vous êtes après tout, je n’ai plus besoin de vous approcher : pourquoi approcher quelqu’un qui excelle dans l’art de la fugue, des visions et des songes.

 

            A ce moment-là, devant votre sourire, un poignet s’élève, aminci par la distance et l’ombre, découvert. Un poignet d’homme, je n’ai jamais touché un poignet d’homme, je n’ai jamais senti un poignet d’homme sous mes doigts, un poignet, le vôtre, mince comme la corde d’un instrument. En jouer et l’orchestre le suivra, et je reconnaîtrai son talent et son autorité. Nous vous suivons ; je vous obéis, je me plie, je me damne. Le poignet qui se lève me fascine et m’entraîne, pour quel voyage ? Où allons-nous tous les deux, jusqu’où ce poignet-maître emportera mon imagination ? L’une de mes mains quitte mon corps pour aller le rejoindre, le saisira-t-elle, enfin, ai-je assez soif pour mutiler mon corps, ai-je assez soif de vous pour détruire ma raison ? Votre poignet sous ma bouche, ou consenti à elle comme l’aumône d’un instant, a la fraîcheur de l’eau que vous allez boire.

            Cette fois, le verre monte jusqu’à vos lèvres, la salle a suspendu ses paroles. Il  y a soudain un silence qui, de toute manière, ne sera jamais assez grand pour contenir ma vision. Elle est trop belle dans sa simplicité, personne ne comprendrait ;

209/ j’accepte pour elle l’incompréhension de tout ce qui n’est pas lui et mon regard. D’ailleurs, tout le reste n’est que médiocrité. Un éclat ; le soleil a un instant arrêté la lumière, sur le verre ou sur le bracelet-montre et, le temps d’une ou deux gorgées d’eau, l’éclat prisonnier a retenu un de mes rares bonheurs et a éternisé votre visage, pour moi.

 

            Ensuite, plus rien n’a d’importance. Vous m’appartenez. Un fil interminable vous retient à moi et vous êtes avec moi quand vous voyagez à l’autre bout du monde. Je ne crée pas un souvenir, je revis chaque jour un instant de joie. Votre beau visage

m’accompagne, partout, et mon errance est peut-être la vôtre. Je vous la raconterai un jour, avec ma voix enfin, et non pas avec ces mots qui courent sur ma feuille comme des petits animaux pressés mais fatigués. Je ne voudrais pas qu’ils meurent comme cet oiseau, épuisé au bout de son voyage et agonisant sans force sous nos yeux. Ma voix, sans être aussi grave que la vôtre, aussi assurée et réconfortante, saura vous convaincre, parce que ma voix est comme tout le reste de moi-même : elle vous aime. J’arrive à vous toucher jusque dans mes cauchemars, vous êtes sans cesse présent, et il suffit d’un rien pour faire renaître ce que mon désespoir n’a pas encore réussi à piétiner.

 

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Extrait de mon "Journal" de jeunesse. Ce Journal a été lu par Philippe Lejeune (avec qui j'ai correspondu, écrivain qui s'intéresse aux textes autobiographiques, auteur de "Le Moi des demoiselles, enquête sur le journal de jeune fille", éd. du Seuil), Jean-Marc Roberts, Roland Duval (écrivain, scénariste). Ces personnes ont eu la gentillesse de s'intéresser à ma petite personne !

 

 

 

 

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23 octobre 2013 3 23 /10 /octobre /2013 12:27

LES YEUX D'ALAIN ("Jules")

 

Des yeux plus beaux que mer et ciel

Des yeux champagne

Des yeux coupe de gloire couple de feu

Pour se noyer

Pour s'étonner

Pour se défaire

Se dépolir désintégrer

Pour disparaître

Espace Espagne

Ces yeux violets

Ces yeux amis

Des yeux du ciel et de la terre

 

Paris, 1981

 

 

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Lettre à J.G., journaliste, écrivain, animateur - - Gien, le 28 novembre 2005

 

Cher Monsieur,

 

J’ai lu (le livre “le masque et la plume” acheté) que j’étais née l’année de la création du Masque et la Plume. Il n’y a pas de hasard.

 

A dix-neuf ans je crois j’ai entraîné mes amies et ma mère (j’habitais alors Conflans-Ste-Honorine) à l’enregistrement de l’émission. J’ai adoré Georges Charensol, Jean-Louis Bory, Gilles Sandier... et François-Régis Bastide. J’allais à l’enregistrement, je réécoutais le lendemain dans ma chambre sur mon transistor. J’étais une espèce de gamine qui me croyais laide, mais j’étais très enthousiaste. J’étais tout feu tout flamme, je lisais des tonnes de livres, je vagabondais dans Paris de film en film (je découvrais Paris grâce à ses cinémas), et j’écrivais, naturellement. De temps en temps j’envoyais une lettre au Masque et la Plume, mais jamais aucune n’a été lue à l’antenne, il a fallu que j’attende presque trente ans (vous) pour que mes lettres (pour la Littérature) soient lues. Un jour, en 1975, j’ai envoyé un poème (ou deux ou trois ?) à François-Régis Bastide. Il m’a répondu sur une lettre du Seuil : “... A votre disposition pour vous parler ici” (flèche avec l’adresse du Seuil). J’étais émerveillée.

Je ne connaissais pas le téléphone (mes parents d’ailleurs n’avaient pas le téléphone), j’ai pris mon train Conflans-Paris et mes jambes, et suis allée directement au Seuil sans rendez-vous ! On m’a dit de l’attendre, qu’il allait descendre, ce qui est arrivé. J’ai vu ce grand monsieur arriver, il était plutôt étonné de voir cette petite personne là

(1 m 55), m’a dit qu’il se rendait à l’aéroport (lequel ??), mais que si je voulais je pouvais monter dans sa voiture. Ce que j’ai fait. J’étais sous l’enchantement, sans expérience, naïve à un point que l’on ne peut imaginer, rêvant d’Ecrivains et de journalistes, de grandes conversations littéraires et, curieusement, très amoureuse de cet homme sans m’en rendre compte. Débarquée de ma planète Mars ! Il m’a posé des questions que j’ai à peine comprises, alors qu’on traversait la Seine j’ai parlé de ma mère qui travaillait Quai Henri IV, il m’a demandé ce qu’il allait faire de moi, et voyant ma candeur et ma stupéfaction, m’a dit qu’il allait me laisser de l’autre côté de la Seine, ce qu’il a fait. J’AVAIS TRAVERSE LA SEINE AVEC FRANÇOIS-REGIS BASTIDE, je l’aimais et je ne lui avais même pas dit ! Je me revois rive droite, toute conne, me disant qu’un homme, et pas n’importe lequel, avait voulu coucher avec moi et que j’étais tombée des nues. Je l’ai revu une fois, une année après, mais il m’a

fait comprendre qu’on ne doit pas s’accrocher... J’ai été très amoureuse pendant... je ne sais pas moi... cinq ans, dix ans..., toute ma vie ? Il y a en moi une petite jeune fille qui a aimé le Monsieur du Masque et la Plume et qui ne s’en est jamais remise. Une petite jeune fille qui a écrit des dizaines de poèmes sur Bastide, qui a envoyé des dizaines de romans aux éditeurs (dans les années 80, je recevais des courriers sympas de Grasset), qui a rêvé des écrivains, de l’Ecrivain, qui est toujours là-bas, d’abord au Seuil avec un grand monsieur, puis toute seule comme la grosse cruche que j’étais sur un quai de la rive droite. Je revois ce grand monsieur aux beaux cheveux gris, au visage qui me semblait le plus beau des visages, à la voix que j’adorais. Je revois sa haute silhouette et je me dis que c’est le seul homme que j’ai aimé. Les hommes ensuite ? Eh bien ils ne furent jamais François-Régis Bastide et j’en étais tristement, naïvement, déçue. J’ai eu très peu d’amants, raté un mariage, j’ai beaucoup écrit (il y a encore des poèmes où, au détour d’un vers, Bastide apparaît, avec la beauté, la vie, la nostalgie... et la mort. Il est mort. Un matin, mon mari me dit qu’à France Inter on vient d’annoncer la mort de François-Régis Bastide. Le lendemain, j’ai quitté mon mari (j’aurais dû le quitter il y a déjà quelque temps, mais je l’ai quitté justement ce jour-là). Pendant vingt-cinq ans je n’ai raconté cette histoire à personne. La première qui l’a entendue, dans ses détails, fut ma psychanalyste. Vingt-cinq ans pour que ça sorte ! En ce moment, pour les 50 ans du Masque et la Plume, j’en parle. J’en parle en riant, comme ça, l’air de rien. “A vingt ans, j’étais une passionnée du Masque et la Plume ; évidemment, j’étais amoureuse de François-Régis Bastide...” Je suis légère, un peu triste, toujours amoureuse... des livres et du cinéma, je suis prof, évidemment

(quoi d’autre quand on est passé à côté de tout ?), je ris beaucoup, je fais rire, je suis naïve, toujours, évidemment : un jour, François-Régis Bastide me tombera du ciel et me tendra la main en me souriant gentiment, comme à la fin de “l’aventure de Mrs Muir”, quand le fantôme de l’homme aimé apparaît à l’héroïne.

 

Finalement, vous êtes la deuxième personne (après ma psy) à laquelle j’ai raconté cette histoire (Passage censuré par JC).* 

Pendant de longues années, je n’ai plus écouté le Masque et la Plume (mon mari était jaloux et voulait me voir à côté de lui, devant la télévision), je réécoute depuis 1996

avec bonheur. Je ne réponds pas au téléphone le dimanche soir. J’ai vu les “nouveaux” une fois, un jeudi d’hiver à Paris.

 

J’ai les larmes aux yeux en écrivant cette lettre. Le fantôme de Mrs Muir, le Masque et la Plume, la nostalgie, les rêves, la mort... Je rêve encore un peu. Continuez.

 

                                                           JOELLE CARZON

 

 * Et aujourd'hui, le "tout le monde" de mon blog (23/10/13).

 

françois régis bastide

François-Régis Bastide

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A lire :

"Son Excellence, Monsieur, mon ami", Jérôme Garcin (Folio Gallimard)  - sur François-Régis Bastide.

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A lire :

"Déesse", Joëlle Carzon, sur http://www.les-ecrits.fr

Début de la parution en octobre 2013.

Récit écrit en 1976 (j'avais vingt-et-un ans).

Une très jeune fille, dans un pays imaginaire détruit par la tyrannie, entraîne une troupe d'enfants avec elle.

 

Toujours sur les-ecrits, paru ("paru" est un bien grand mot, mais je n'en ai pas d'autre) :

LA MAISON AU LAVOIR.

C'est un roman policier de style classique qui se passe à Montargis, dans le Loiret. Trois jeunes filles et "Barbe-Bleue". Sébastien Japrisot, auteur de romans policiers ("L'été meurtrier"... Japrisot hélas décédé), m'a inspiré le début de ce roman.

 

Toujours sur les-ecrits, paru cet été :

COLLINES ET MENSONGES.

C'est une histoire d'amour, histoire un peu policière par ailleurs. Ce roman fut écrit à Trescléoux (05) en 1987.

 

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COTE CINE :

 

J'ai vu récemment trois histoires de paumés (c'est un hasard - ?-) :

- Frances Ha

- Blue Jasmine

- Une place sur la terre.

 

Et :

- Prisoners (excellentissime)

- 9 mois ferme (très drôle).

 

Ces films feront l'objet d'un article vers le 15 novembre.

 

Point trop n'en faut.

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17/11 :

NOMBRE DE VISITEURS DE CE BLOG DEPUIS SA CREATION : 936.

Quand on arrivera à 1000, je sors le champagne !

En 2014 ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 octobre 2013 2 01 /10 /octobre /2013 14:55

Chapitre XVIII

 

Après Paris

 

Aujourd’hui, après Divine Mort apparue avec la disparition de François Truffaut et celle de Pascale Ogier (non, pourquoi cette jeune fille aux traits de Madone ?), après la Maladie de la fin de notre jeunesse, après Trescléoux et le froid des montagnes, après la chaleur zingue de la Haute-Provence, après la mort de Coluche, après la Maladie qu’on ne nomme plus et la mort, la mort de Jules, après la mort de Jules-aux-yeux-violets, après la mort de Jules et la mort du rire, après notre Desproges, notre Desproges à nous, après l’Injustice de la Mort (car Pierre Desproges est mort, étonnant, non ?), après tous les pétards de la terre fumés dans mes maisons à moi par d’autres que moi, après les guerres en ex-Yougoslavie et ces images qu’on ne voulait plus voir, après la souffrante, la douloureuse Yougoslavie, après ma maison de Châlette vendue, vendue, quand ma grand-mère est partie, après la maison dans les collines et les bois à côté de chez Colette, après le froid glacial de cette maison en 1996, après le froid de la nuit et la solitude de cette maison dans les collines, après la violence, après le manque de soins et d’amour de l’époux, après la haine, après les cris, après l’alcool, après m’être enfin résolue à quitter ce mari-là, après l’Inadéquation nationale et ses élèves persécuteurs et ses parents harceleurs, après les tentatives de suicides, après les re-suicides (quand on aime se suicider on ne compte plus), après la Nième tentative de suicide et les cliniques psychiatriques, après les psys fous et  les fous qui raisonnent, après les amis qu’on aime toujours et qui vous abandonnent pour toujours, après les chats qu’on a tant aimés et qui meurent (car les animaux meurent aussi), après Le Pen en 2002 au deuxième tour et non ce n’est pas possible, ce n’est pas possible, ce n’est pas possible, après les villages et les villes de la Loire dans lesquels j’ai habité, après la Loire de 2003 qui monte, monte, monte, et jusqu’où va-t-elle monter, et il faut peut-être que je sauve mes manuscrits et que je les emmène chez Michèle, Michèle et sa maison en bois dans la verdure, et son hamac dans la verdure, ma belle et sauveuse Michèle, après B. et tous les livres et tous les manuscrits (dont les miens),  après les films vus et revus à satiété, après Cria Cuervos et Elisa Vida Mia, après Polanski-le-Terrible et Harrisson Ford cherchant sa femme dans les rues de Paris,  après David Cronenberg découvert dans un souffle fin 2007, et pareil pour James Gray, après la sulfureuse beauté de Viggo Mortensen, après Londres et New York, et New York et Londres, mes villes adorées où il fait si bon se promener, après Gilles-Gauthier-Roland Duval mes très chers “cramés de la bobine“,  après mon Gilles et ma Virginie et leur Moulin et la Bretagne, après la mer à Camaret et à l’île de Houat et à Granville et ma mère à moi qu’il est si compliqué d’aimer, après les Nuits de la Pleine Lune dans ma capitale désormais imaginée, et Christophe Honoré dans mes rues aimées, après mon pauvre papa qui vieillit mal malgré les cols et les sommets escaladés dans les Alpes, après S. ensevelie sous des tonnes de livres et sous les hectolitres de notre chère piscine de Gien, après Sylvie la première Sylvie-Sonia retrouvée quatorze ans après dans une chorale de Mozart, après Marc retrouvé et Marc reperdu (1997-2002), après les coups qui pleuvent et les coups du sort, après les kilos, après la cinquantaine ; aujourd’hui je me demande encore pourquoi j’ai jamais quitté mon beau Paris.

 

 

EPILOGUE

 

            Je voudrais épiloguer sur les yeux de mes amis et sur un sourire. Pas un rire, je ne vois pas comment cela serait possible après la vie si difficile qui a suivi mes années parisiennes.

 

            Les yeux bleu froid de Marc qui ne tomba jamais amoureux de moi. Les yeux bleu clair de Cyril (c’était un jeune homme mince et rouquin). Les yeux noisette de Sonia qui s’illuminaient enfin devant les tableaux des Impressionnistes. Les yeux (soi-disant) caressants de Patrice. Les yeux timides aux paupières palpitantes de Pierre devant ses B.D. Et enfin, et toujours, et vivants pour moi à jamais, les yeux moqueurs, pétillants, violets, rieurs de Jules.

 

            Malgré l’argent qui manquait, malgré une vie professionnelle stupide et frustrante (tout ce temps gâché !), nous avons tellement ri ensemble.

 

            Je veux me souvenir de Jules qui pardonnait tout, de son regard tellement gentil sur nos folies. Toute cette indulgence, toute cette liberté.

 

            En 2013, des jeunes gens réactionnaires manifestent contre le « mariage pour tous », les catholiques allument des bougies dans les rues pour ranimer l’homophobie.

 

            Nous, nous étions libres et pleins d’indulgence. Il ne nous serait pas venu à l’idée de mépriser les pauvres et de pourchasser les Roms.

 

*

 

            Je voulais écrire le livre de la jeunesse et des rires et je crois bien que je n’ai pas vraiment réussi ! Tant pis. Je ne suis pas une joyeuse luronne, même si j’ai fait de mon mieux pour en être une.

 

            Mais je me souviens des films, de Paris magique, de la voix chaude de Marc et de ma joie troublée quand je vis apparaître Patrice rue Lécluse.

 

            Et je me souviens que j’étais fière d’être une marginale avec Pierre.

 

            Et je me souviens du sourire de Jules, si doux, si amical, qui a marqué de sa mélodieuse empreinte les chères années de ma jeunesse.

 

 Gien et Cancale, 2008 - Gien, août 2013

 

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Note de Joëlle : Le chapitre XII "Jules, l'enfant de Valenton" peut vous être envoyé sur vos mails personnels. Je ne le mets pas sur Internet.

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17 septembre 2013 2 17 /09 /septembre /2013 11:51

  

     Lucia était seule dans la maison déserte. Ou désertée. Ses parents l’avaient laissée. Bon vent !

 

            Le matin, elle avait d’abord, dans le jardin, humé la fraîcheur délicieuse de l’air sans parents. Dieu !  Personne ! Que les oiseaux, le chat, les herbes frissonnantes de présences invisibles… Tout semblait frissonner de cette joie indicible de l’absence d’autorité et de rigueur. Tout semblait se décider pour une autre vie. Ah ! Repartir sur des bases neuves, des couleurs plus vives ; une démarche, des vols plus rapides… Lucia se disait qu’elle, les oiseaux, le chat, les insectes et toutes les créatures de cette maison et de ce jardin étaient devenus complices ; ils se tenaient la main, ou la patte, ou l’antenne, qu’importe ! La jeune fille était solidaire du monde entier ce matin-là. Il y avait dans ses dix-sept ans, tout à coup, autre chose que des réticences, des cachotteries, des plannings, des cadenas : plus besoin de se cacher, de jouer la comédie, de grimacer des amabilités. Elle inviterait Claudine, et Frank, et Paula, et peut-être Olivier… Oui ! Olivier même… Elle oserait. Enfin, elle oserait tout, à visage découvert, à gorge déployée. « Liberté, liberté chérie… » Oh ! que la liberté avait déjà un goût divin, un goût venu d’ailleurs. Elle allait pousser toutes les portes de la maison qu’on ne poussait jamais, monter les escaliers jusqu’au grenier, monter sur le toit peut-être… Elle boirait un verre de Porto tous les soirs (sept soirs !), elle qui n’y avait droit que le dimanche midi ; elle engloutirait des litres de cacao (« arrête, tu vas grossir ! », ou : « je me demande où tu mets tout ça ») et des kilos de macarons.

 

            C’était une grande maison, c’était aussi la maison de ses arrière-arrière-grands-parents achetée en… quelque date au début du XXè siècle. Sa mère se montrait curieusement fière de ce fait : qu’ils aient réussi à habiter, eux aussi, cette vieille baraque qui avait traversé les guerres et ce siècle. Elle en parlait comme d’un bateau fragile qui aurait surmonté des dizaines de tempêtes sur les océans. Lucia trouvait cette fierté curieuse : pourquoi se vanter d’une maison aux murs épais qui résistait tout simplement à la pluie ? C’était une maison, une maison banale, même si on l’aimait.

 

            Elle avait respiré le jardin et senti la présence de ses complices les animaux. Maintenant, elle rentrait ; le téléphone l’attendait dans le hall. Aucun espion désormais, pour sept jours, ô bonheur !...

 

            -Allô, Claudine ? C’est moi, Lucia. Ils sont partis.

 

            Elle entendit le rire coquin de son amie, un rire de plaisir et de connivence.

 

-         Alors, heureuse ? roucoula Claudine. Tu nous invites ?

-         Que oui ! Je vais appeler Paula et Frank.

-         Et Olivier, ajouta Claudine, pleine d’assurance et d’énergie.

-         Oh ! Olivier… Je ne sais pas si…

-         Moi, je sais que tu appelleras aussi Olivier.

C’était son ton autoritaire. Lucia n’avait plus qu’à s’abandonner à la douceur d’obéir.

Elles habitaient une petite ville où tout se sait, même les battements de cœur les plus secrets.

Après Claudine et le pincement d’angoisse sans doute injustifié, Lucia redécrocha le combiné. Elle crut n’avoir composé aucun nouveau numéro et pourtant un murmure lui parvint. « Luci…a ! Luci…a… ! » Saisie, elle éloigna d’abord le téléphone de son oreille, mais la voix insistante, qui restait si douce, lui parvenait malgré tout : « Lucia, approche-toi, reviens, viens… » La jeune fille tremblait, mais elle n’osa pas raccrocher. « Lucia ! » Cette fois, l’interlocutrice s’impatientait, cela se sentait, comment résister ?

 

-         Je suis là. Qui êtes-vous ?

-         C’est moi, mon tout petit… Lucia, c’est moi, tu ne me reconnais pas ?

 

Cette voix tellement douce, presque sensuelle, une voix un peu âgée, un peu maternelle ; une voix pressante comme s’il n’y avait pas eu de temps à perdre ; une voix déjà oubliée… « Mon tout petit, moi, moi… », persistait-elle. Elle la reconnut. « Qui. Lucia à l’appareil », dit la jeune fille bêtement. Elle avait reconnu la voix de l’autre, la voix ailée. La voix chérie d’autrefois.

 

Deux ans auparavant, la voix de la femme qui portait le même prénom qu’elle s’était tue. Le Cancer. L’hôpital. Les visites. Ses parents qui disaient : « Il ne vaut mieux plus que tu y ailles. Pourtant, elle était revenue à la maison, Lucia. Et elle y était morte. La petite fille avait beaucoup pleuré et pendant toute une année, elle avait fait semblant de croire que sa grand-mère était encore là, pour avoir moins mal en poussant la porte de l’entrée, ou pour se faire plaisir. Pourquoi souffrir inutilement ? Mieux vaut jouer la comédie, se bâtir un roman, et rire, rire en compagnie des garçons et des filles de son âge.

 

« Mamie, c’est toi Mamie ? » lança-t-elle, pleine de courage, et d’ailleurs le ridicule ne la tuerait pas puisqu’il n’y avait personne pour l’entendre. « Qui… Mon petit, ne les invite pas. Reste avec moi, mon enfant… » Le naturel de Lucia revint au galop : allons, elle n’allait pas se laisser emberlificoter par une personne de sa famille morte depuis deux ans ! Ses plans ne seraient pas mis à bas par ce coup de fil d’outre-tombe : au diable les fantômes ! Et elle ouvrit la bouche pour protester vivement. « Ah ! dit-elle, Mamie, tout de même… » Mais il n’y avait plus personne au bout du fil, plus de voix, plus d’ange, plus d’autre monde… Aurait-elle rêvé ? Se serait-elle inventé une jolie histoire afin de soulager sa conscience chargée : n’avait-elle pas décidé de désordonner une bonne fois pour toutes cette maison d’ordre et de silence, gouvernée par deux êtres maniaques… et sans histoire justement ? Lucia dénigrait les gens sans histoire ; elle aurait voulu les honnir, elle aurait voulu être seule. Seule, c’est-à-dire sans la conscience parentale, seule sans mémoire, sans « eux ».

 

L’appel inattendu avait paralysé sa main. Après Claudine, sa bouche était sèche. Tout courage, qui était celui de l’élan vers autrui, l’avait abandonnée. Elle se sentait comme un désert, assoiffée, ignorée, se retirant en elle-même jusqu’aux limites du possible. Lorsque vint le coucher du soleil, Lucia décida de fermer grille et portes. Ce fut au moment où elle poussait le dernier verrou que le téléphone retentit. Cela ne serait ni Claudine ni Paule, la jeune fille en était certaine. Ni l’une ni l’autre. Aucune jeune vie comme la sienne. Elle décrocha :

 

-         Oui, Mamie, dit-elle avec calme.

-         Chérie, mon oisillon, tu sais…

-         Oui ?

-         Tu sais… J’ai mal, là-haut, là-haut…

-         Au ciel ? fit Lucia sottement.

-         Non… Là-haut, dans la maison… J’ai si mal, viens, viens…

 

L’interlocutrice avait raccroché et, pour la deuxième fois, Lucia s’interrogea sur sa santé mentale. Peut-être avait-elle laissé marcher la radio ou la télévision ; ainsi son imagination délirante lui jouerait des tours… ? Elle irait au grenier, comme semblait le lui demander la vieille dame, et en aurait le cœur net. Elle grimpa donc les trois étages, puis le dernier qui conduisait au grenier. La porte grinça, comme une porte « à histoire » grincerait, mais le grenier se révéla désespérément banal : vide et fouillis en même temps, sale, poussiéreux, grincheux, nid à araignées. Lucia eut un petit soupir agacé et entreprit de redescendre… Elle descendait lentement… et quelqu’un l’accompagnait. A ses côtés, un souffle, un murmure bougeaient à son rythme. Elle tourna la tête. Bien sûr, aucune présence n’était « visible », mais Lucia ressentait cette présence comme sa propre chair. Elle finit par entendre : « Non… Pas là… Dans la pièce, la pièce condamnée. » Ah ! oui, cette chambre était bien plus intéressante que le grenier. Elle avait causé tant de disputes, puis, à la fin, avait été interdite d’accès par son père.

 

-         Le plancher est pourri, disait sa mère. Il faut le faire réparer.

-         Tu plaisantes ! rétorquait son père. Et pourquoi pas reconstruire toute la maison ? Car c’est tout qu’il faudrait refaire, tout, tout, tout !

-         Je vois où tu veux en venir, hurlait Madame : tu voudrais vendre la maison de ma mère. Cette maison qui est dans mon sang.

-         Comme tu y vas, ce que tu m’énerves ! Sommes-nous millionnaires, avons-nous assez d’argent pour réparer cette maudite bicoque ?

 

De fil en aiguille, le père de Lucia avait condamné la pièce. Il valait mieux ne pas marcher là-dedans. On attendrait, on verrait, plus tard, quand tante Léontine…

 

Lucia fut tirée devant la porte interdite, puis, sembla-t-il, légèrement poussée lorsque celle-ci s’ouvrit. C’était bizarre. La jeune fille se souvenait que cette porte avait été bel et bien verrouillée par son père en colère : « C’est cette maison tout court qu’on devrait fermer à jamais ! » Et il avait maugréé : « Caprice de bonne femme ! Quand pourra-t-on enfin s’en aller ? »

 

Lucia se retrouva devant un bric-à-brac incroyable : meubles, poussière, tapis et toiles d’araignée s’enchevêtraient et se confondaient. Elle eut du mal à distinguer les uns des autres quoique reconnaissant petit à petit des bribes de son enfance, parcelles recomposées de sa mémoire… On a dix-sept ans et déjà, tout est tellement ancien, les grands-parents ont disparu. « Lucia ! » Sa grand-mère l’appelait encore, mais elle n’était plus à ses côtés. La jeune fille eut l’impression qu’elle l’appelait du centre de la pièce, elle fit deux pas. Puis une silhouette indéfinissable, mi-ombre mi-brouillard blanchâtre, s’éleva du parquet. « Lucia ! » C’était grand-mère… C’était une silhouette… Oui : une personne… plus grande, plus forte, plus impressionnante. Lucia s’approcha encore pour mieux la reconnaître et il lui sembla revoir son grand-père. Il était mort deux ans avant sa femme. Elle se souvenait d’un homme silencieux, gentil, chemise blanche, impeccable. Une impeccable tenue devant la vie et la maladie, de même que Mamie. Oh ! comme elle les avait aimés et comme ils avaient été aimables !

Encore un pas, elle le verrait mieux, elle verrait mieux son cher grand-père dans cette silhouette blanche qui cherchait à ressembler au Monsieur des dimanches de son enfance. Il était beau ; cela elle en était sûre. Beau comme avaient été belles ces journées où tous deux habitaient encore la maison, son grand-père et sa grand-mère, dans une maison où personne ne criaillait, où les parquets n’étaient pas encore pourris. « Viens ! »

 

Quel sourire il avait. On ne pouvait sourire plus magnifiquement. Ils lui demandaient de venir. Où ? Quel mystère ! Encore deux pas vers le centre la pièce…

 

Lucia n’entendit pas le premier craquement, toute à la joie de retrouver les siens. Elle était revenue dans le cercle magique de la petite enfance, là où tout est facile, où l’on ne se soucie de rien, où tout est pris en charge par des personnes aimables et bonnes. Un second craquement, plus inquiétant, et son pied droit s’enfonça. Qu’importait ! Son grand-père lui tendait une main secourable, la voix de sa grand-mère l’encourageait. Lucia souriait, tout était à nouveau simple, agréable, évident. Il y eut un énorme éboulement qui parut ébranler le monde et Lucia disparut, aspirée par un trou avide. Elle tomba, tomba, dans un fracas amplifié par la maison et le jardin déserts.

 

Briare, 1995

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Cette nouvelle était destinée à http://www.les-ecrits.fr, mais aujourd'hui ce site a disparu !! Problème momentané ? Dommage : j'étais en train d'y "publier" mon roman policier "La Maison au lavoir". Cette nouvelle fait partie de mes nouvelles "fantastiques". Les ancêtres qui "avalent" leur descendance. Brrr !

Bon, tant pix ! restons optimiste : j'ai quelques lecteurs sur mon blog. Merci à eux !

 

17/9, 14 h 30 : Non, tout va bien ! Jo, don't panic !

 

Déjà deux personnes (charmantes) me contactent pour me dire que "Pierre" est toujours sur notre terre. Merci à eux. Et merci à tous mes lecteurs que je ne connais pas.

 

Et vive la Littérature !

 

Joëlle 17-9-13

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17/9/13 (après-midi)

Décidément, c'est une journée pleine de nouvelles ("nouvelles" dans tous les sens du terme). Il est 4 heures moins le quart et je viens de découvrir qu'il y a trois ans Pierre avait laissé un mot sur ce blog. Je ne l'avais pas reconnu.

 

Roman...

 

Le passé ne peut apparemment pas être aboli.

 

Mais le passé est tout de même le passé et il est devenu Littérature, pour moi en tout cas.

 

Chacun devra suivre sa route comme il peut. 

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16 septembre 2013 1 16 /09 /septembre /2013 15:02

CHAPITRE XVII

Les derniers films, 1986-1987

 

            Après avoir écrit tout ça, et après avoir pensé que ce récit serait un récit très franco-français (et parisien en plus !) ; après avoir pensé que je ne parlerais que de Truffaut, Rohmer, Rivette (ô Rivette !) des « Nuits de la pleine lune » et de « Céline et Julie vont en bateau », je m’aperçois que non, finalement je n’étais pas si franco-française que ça.

 

            Nous adorions le cinéma américain, celui des années 40-50, et passions notre temps à l’Action-Christine et à l’Action-Lafayette. On ressortait les Hitchcock. Marc et moi aimions follement les premiers films de Polanski (né à Paris, c’est vrai…). « Le Bal des vampires » nous faisait tous mourir de rire. Pendant ces années, c’était « Tess » et « Pirates ». Nous nous laissions bercer par les Woody Allen de l’époque, « Manhattan », « Hannah et ses sœurs » pour moi, « Stardust Memories », et nous nous racontions sans fin tous les épisodes de « Tout ce que vous avez voulu savoir sur le sexe… » lors des après-midi d’ennui. Sonia et Cyril, toujours fauchés (autant que nous, mais nous nous mangions des pâtes et courions dans les salles obscures) n’allaient pas tant au cinéma que ça, aussi nous leur racontions les films récents, de Mad Max à Rohmer.

 

            L’un de mes plus beaux souvenirs avec Jules (rien que Jules et moi un soir d’été) fut « Kaos » (contes siciliens, 1984) des frères Taviani où un bébé nimbé de poésie est livré à la lune. Il est dehors sous le ciel dans un panier. Quand je me remémore aujourd’hui cette image magique, j’en ai encore des frissons de plaisir. Jules et moi avions adoré.

 

            Mes amis écoutaient Neil Young, au cinéma je vénérais les Américains et les Japonais (« les Amants crucifiés », « Contes de la lune vague après la pluie »…). Non, nous n’étions pas si franco-français, si Parisiens… Quand, après une rupture d’un an et demi avec Pierre et mes tentatives cataclysmiques d’être une femme libérée, mon petit ami réémergea de son Sud, ce fut en nous apportant Paolo Conte.

 

            Et puis il y eut Jim Jarmush. Dans ma tête, les films de Jarmush mêlent poésie, liberté, musique…, adorable originalité en noir et blanc, avec une infinie tristesse. Paris était en train de mourir en moi, nous songions à partir, nous allions quitter Paris, oh ! non ! (qu’ai-je fait ?). Dans ce Sud des Etats-Unis recréé par Jarmush, le metteur en scène exprimait une nostalgie épaisse, pesante, embrumée par l’alcool. Ses personnages sortaient du lit, encore endormis par les cuites de la veille, paresseux, incapables d’envisager quoi que ce fût, surtout une vie amoureuse. C’était des hommes inefficaces, totalement inadaptés à cette vie. Dès le début du film, ils étaient prêts pour l’errance et la prison. Pas du tout chanceux. Le visage de Tom Waits est l’incarnation de cette semi-clochardise, de cette attente de rien. Dans « Down By Law » (1986, l’année du noir et du retour inéluctable de Pierre dans mes bras), il n’y a que le personnage joué par Roberto Benigni qui brise cette maussaderie et cette horreur. Il est un apport de fraîcheur, de lumière et d’espoir dans ces bayous de Louisiane qui emprisonnent et étouffent. Et l’on rit ! On rit beaucoup avec Benigni ; Pierre et moi fûmes parfaitement enchantés. A la fin de « Down By Law », abandonnés par Roberto qui a trouvé l’amour au milieu de nulle part, Tom Waits et John Lurie doivent choisir entre deux chemins, l’un allant à droite l’autre à gauche. Alors bien sûr ils se séparent. L’amitié ne peut survivre sans Roberto. Sans doute l’un et l’autre choisissent le mauvais chemin. Ils sont condamnés de toute façon depuis la première image par Jarmush : ce sont des paumés et paumés ils resteront.

 

            Pierre et moi nous reconnûmes dans ces paumés. Et nous aussi nous allions choisir le mauvais chemin.

 

*

 

            Le cinéma et Paris m’ont marquée à jamais. A vingt ans je fréquentai Marc, critique de cinéma, puis des années plus tard Roland Duval (scénariste et critique), et ensuite Gauthier Jurgensen. Gauthier adore Jim Jarmush et a publié sa photo avec lui à la page 51 de son livre « J’ai grandi dans les salles obscures ». Gauthier est né deux ans avant « Down By Law ». Il y a tout de même un lien dans ma tête et dans ma vie entre mes années parisiennes et aujourd’hui. Il n’y a JAMAIS de hasard, tout se tient. Il y a un lien entre Marc et Gauthier, entre Roland Duval et la littérature, entre la littérature et François-Régis Bastide, entre François-Régis Bastide et le cinéma. Je n’ai pas à arracher de moi mes années parisiennes en disant qu’elles furent et ne sont plus. Lucile-Joëlle aime toujours, incrustés en elle, attachés à sa peau même, le cinéma et les écrivains, les images et l’écrit, une seule musique pour une seule vie.

 

            Pierre et moi quittâmes Paris pour une vie obscure, mais « Lucile à Paris » était déjà écrit avant même notre départ.

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30 août 2013 5 30 /08 /août /2013 14:38

 

            « Journal de Lucile C. » – Paris, juin 1981 :

 

            Neige, Juliet Berto, J.H. Roger

            Le début du film est une reconstitution de l’univers de Pigalle. Juliet Berto en compagnie d’un grand noir est entraperçue courant en vain après un très jeune noir qui vend de la drogue. Univers : la fête foraine, la prostitution, les baraques de foire, les drogués, les travestis, les immigrés. Excellente reconstitution, dans la foule, parmi tous ces gens bizarres, inquiétants, à la recherche de « quelque chose ».

            Deuxième partie : le garçon s’est fait tuer par la brigade des Stups. On comprend mieux ce qui lie les personnages. Juliet Berto (serveuse dans un bar) devient de plus en plus attachante. Son ami noir est pasteur d’une église pour les noirs où l’on parle politique et où l’on chante et danse. Tous deux sont complices dans leur désir d’aider les naufragés de leur quartier. Juliet Berto rencontre un travesti en manque et décide avec son ami noir de remonter la filière pour pouvoir se procurer de la drogue. Son petit ami (un boxeur) moralise, lui demande de ne pas faire de bêtises, elle hurle sa révolte (« je ne veux pas d’une petite vie dans un trois-pièces-cuisine ! »), mais finit par lui aussi remonter la filière. Ils sont suivis par la police, celle qui a tué le garçon. Au moment où ils ont atteint leur but, le boxeur est tué inutilement, Juliet Berto arrêtée, le pasteur noir relâché avec mépris. Ce dernier se retrouve dans les rues de Pigalle, en pleine détresse, fendant la foule au bras de sa compagne.

            Très bon film, émouvant, sobre. Pas de dialogues superflus. Les personnages sont intéressants, on les suit avec de plus en plus d’émotion. On se mêle à la foule de Pigalle sans difficulté. Excellent.

 

            Marc nous avait conseillé vivement ce film, mais avec des réserves car l’ayant recommandé à d’autres personnes, il s’était fait « engueuler » par elles.

            Jules et moi sommes ressortis du cinéma enchantés.

 

            Les Valseuses, Bertrand Blier

            Ai-je écrit sur ce film, ou pas, dans mon cahier (le cahier sur lequel je listais les films vus, 120 films par an alors), que je n’ai pas tenu régulièrement depuis si longtemps ? Je n’arrive pas à me souvenir. En tout cas, j’en ai parlé abondamment (« nous » en avons parlé en fait, Pierre et moi) avec plusieurs personnes : Sonia, Nelly, Marc, Jules. Pour les trois premiers, c’est un film qui met mal à l’aise, un film malsain, un peu fasciste sur les bords. Pour Jules, Pierre et moi,  c’est un film sain, très drôle, tonique. En sortant du cinéma, Pierre et moi étions ravis et hilares, Pierre était même un peu foufou.

            Depardieu et Dewaere ne sont pas sympathiques, ce sont deux voyous de petite envergure, deux petites crapules sans pitié et sans intelligence, mais ce qui leur arrive est prodigieusement marrant (sauf l’épisode avec Jeanne Moreau, qui est un moment fort beau et triste et où l’on voit Depardieu sous un jour différent). Ce film est plein de santé, amoral de façon toute naturelle, tous les épisodes se succèdent avec rapidité. C’est bien mené, c’est un vrai spectacle, une vraie histoire. On est bien, là, avec ces crapules ; ce qu’il peut advenir de ces deux « héros », on s’en fout, le principal c’est de s’amuser en leur compagnie pendant qu’ils font encore des bêtises.

            Depardieu et Dewaere forment un couple sublime.

            J’ai admiré Depardieu comme je l’admire dans tous ses films. »

 

            Ces films sont d’excellentes illustrations de nos meilleurs films du début de mes chères années 80. Je les ai choisis, de même que j’ai choisi Les Années-Lumière pour donner une image exacte de ma vie à Paris et des souvenirs que j’en ai. C’est aux Années-Lumière que j’ai pensé en premier lorsque je voulus écrire ce chapitre.

 

            Toujours, Journal de Lucile C., Paris, juin 1981 :

 

             Les Années-lumière, Alain Tanner

 

            Vu en V.O. au Studio Gît-le-Cœur, en compagnie de Pierre. Quelque chose m’avait tant bouleversée avant que nous allions voir le film que je ne l’ai sans doute pas apprécié comme j’aurais dû.

            Irlande. Un jeune homme vient proposer ses services à un vieil original qui vit retiré de tout et à l’écart de tous, élevant des oiseaux dans un immense garage dont lui seul possède la clef. Initiation : le jeune homme doit être éprouvé, humilié, avant d’être seulement admis à la table du vieil homme, initié ensuite à son secret (il a étudié sa vie entière les oiseaux, s’est fabriqué des ailes et il compte s’en aller à des « années-lumière » de la Terre). Un vieil homme lègue sa sagesse à quelqu’un qui poursuivra sa tâche, quelqu’un qui « mérite » d’être son héritier. C’est bien, cela ne semble pas malgré tout briller par l’originalité. Le passage qui m’a plu le mieux est la recherche de l’aigle, seul oiseau absent du garage du vieil homme. Cela se passe alors uniquement dans les montagnes et le jeune homme rencontre un braconnier qui m’a paru un personnage plus intéressant que celui du vieil original. »

 

            Je ne me souviens absolument pas de ce qui me bouleversa tant avant de nous rendre au Studio Gît-le-Cœur. Pierre m’avait-il fait un de ces « coups » qui me jetaient dans une extrême détresse pendant quelques heures (je ne comprenais pas ce qui se passait) ? Après, j’oubliais. Je me rejetais dans notre vie bohème, je me disais que ça ne faisait rien, que ça allait passer, que cela ne se reproduirait plus.

 

 Départs précipités dans la rue que Pierre ne m’expliquait pas, soudains accès de dépression qui ne produisaient eux non plus aucune explication, désespoirs muets, disparitions de quelques jours qui me terrifiaient… Je téléphonais aux employeurs de Pierre où des secrétaires méprisantes me disaient que j’étais avec un drôle de type…

 

Drôle de vie. Mais j’oubliais. J’oubliais aussitôt. Il y avait Jules qui nous attendait, ou un film à aller voir, comme ces Années-Lumière.

 

Je crois me souvenir que j’aimai bien, Pierre adora. L’histoire d’un homme-oiseau, des oiseaux, de la vie en planant… Cela parlait à Pierre. Tous mes amis d’ alors cherchaient à planer.

 

J’étais semble-t-il la seule d’entre nous à ne pas vouloir planer. Mais si. Anaïs Nin disait qu’elle n’avait nul besoin de substances illicites pour planer, pour être dans une forte exaltation qui la faisait écrire. Ou c’était l’écriture qui lui procurait cette exaltation…

 

Exaltée, je l’étais. Shootée aux films, aux amitiés, à l’espoir de me faire publier. Ce que je voulais, c’était « voler ». Si je ne volais pas déjà.

 

            Oui, ce que je voulais, ce n’était pas vraiment conquérir le monde, acheter une voiture, posséder une maison, faire ce que bon me semblait avec qui je voulais quand je voulais…

 

            Ce que je voulais, c’était voler.

 

            Voler comme Juliet et Dominique d’une rue de Montmartre à l’autre, voler comme elles vers des maisons hantées grâce aux bonbons magiques de Rivette, voler comme un pétale de fleur, un chaton, une Carmélite, voler comme le vieil homme de Tanner dans Les Années-lumière, voler comme les marins sur la mer, voler comme les alpinistes de sommet en sommet. Voler comme un ange. Ce que je voulais en fait c’était voler et tout, tous, de ma mère aux profs, des profs aux patrons, tout et tous s’étaient ligués pour me couper mes grandes ailes. Car j’avais les ailes des anges.

 

            Au lieu de cela, les ailes poussaient dans le dos de l’ange asthmatique que j’étais. J’étais trop petite pour les ailes. Les ailes m’empêchaient d’avancer. J’avais été la fille timide de parents insatisfaits, la maîtresse inquiète d’un peintre imbibé, l’amie triste d’un cinéphile qui rêvait de dessiner, l’écrivain qui s’obstinait à dire : “Je suis, je suis...”, et qui n’était pas.

 

            Quand on vole, on n’a pas besoin de dire : “Je suis, je suis...”, on est. Dans les airs, dans le ciel. Ailleurs. A Paris, mais ailleurs quand même. Pas dans le présent. Dans l’infini.

 

            La terre peut trembler et bouger, les tyrans peuvent se succéder, les petits amis peuvent être terriblement pas chic, les boulots peuvent être aussi stupides les uns que les autres… Quand on vole, est-ce que cela a de l’importance ?

 

            Oui, Les Années-Lumière fut typique de ces années-là.

 

 

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24 août 2013 6 24 /08 /août /2013 20:19

CINEMA ETE 2013 - Le grand méchant loup, Nicolas et Bruno

Benoit Poelvoorde, Fred Testot, Kad Merah

Montargis, 12/7

La crise de la quarantaine chez trois frères après une attaque cardiaque de leur mère. Bof, bof, bof ! J’aime bien Benoit Poelvoorde, Fred Testot plutôt sympa, mais à part ça…

   

Pour une femme, Diane Kurys

Mélanie Thierry, N. Duvauchelle, B. Magimel, Sylvie Testud

Montargis, 26/7

Souvenirs, souvenirs… Diane Kurys se rappelle sa mère (ce qu’elle a déjà fait), évoque l’arrivée des juifs de l’est en France, le communisme, l’arrivée d’un oncle mystérieux. Atmosphère des années 45-50 parfaitement reconstituées. Par contre la fin, avec un Benoit Magimel vieilli pour le rôle, est assez ratée. Mélanie Thierry est vraiment ravissante, et très bonne actrice.

 

Moi moche et méchant 2,  Chris Renaud, Pierre Coffin

Montargis, 9/8

Je n’ai pas vu le premier opus. Celui-là m’a bien plu, avec un héros moche et gentil, qui n’a pas de chance avec les femmes, et qui ici tombe amoureux d’une espionne rouquine. L’ensemble est plutôt pas mal. Beaucoup de détails à voir dans ce film d’animation.

J’ai réussi à compléter mes 5 films en deux mois (carte Solo), mais vraiment le programme cinématographique de cet été est désastreux, entre les blockbusters américains, les comédies françaises lourdingues, les pagnolades de Daniel Auteuil et autres futurs sébastienades.

 

Alors, j'attends le fameux et déjà polémique " Vie d'Adèle"... (Gauthier Jurgensen -AlloCiné- furieux.) Et j'aurais beaucoup voulu voir "Frances Ha" de Noah Baumbach, mais c'est mal barré...

 

Et COTE LITTERATURE :

Toujours dans Stefan Zweig. Merveilleux Zweig que j'ai aimé toute ma vie.

 

Je suis en train de lire "Ecrire" de Marguerite Duras.

"Ça rend sauvage l'écriture. On rejoint une sauvagerie d'avant la vie. Et on la reconnaît toujours, c'est celle des forêts, celle ancienne comme le temps."

 

Et les émissions du soir sur France Inter ("Un été avec Proust", dont j'ai loupé une partie hélas) m'ont donné envie de relire Proust. A ce propos, lire "Je vais relire Proust", très amusant chapitre de Philippe Delerm, "Je vais passer pour un vieux con", qui se moque des gens comme moi.

Mais quand même, j'ai bien lu "La Recherche..." entre 18 et 22 ans.

 

Et lire les livres de mes amis : "Médecin des dames" d'Isabelle Delamotte, et "A l'ombre du banian" de Christophe Masson.

 

24/8/13

 

Lu, sur la plage à Granville, "Contes glacés" de Jacques Sternberg. (30/8/13)

 

P.S. Et et... MOI : "Collines et Mensonges" (roman) "paru" dans http://www.les-ecrits.fr

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13 août 2013 2 13 /08 /août /2013 11:37

CHAPITRE XV

 

L’amour, l’amour…, l’imaginaire

 

            Qui ai-je aimé ? « Qui ai-je osé aimer ? »  J’ai aimé François-Régis Bastide, c’est sûr… et l’on me dira que ce fut un amour totalement fantasmé. Et pourtant je n’arrive pas vraiment à me dire que j’ai aimé un autre homme que cet homme-là. Non, pas un homme : un Ecrivain.

 

            J’ai aimé Pierre, je suppose. Il faut l’avoir beaucoup aimé… Seize ans quand même. J’ai aimé Patrice deux mois. Je me suis imaginé aimer quelques camarades, au lycée, et plus tard dans ma vie…

 

            J’ai aimé mes amis d’amour : Marc, Jules. J’ai aimé l’amitié d’amour. J’ai été amoureuse de l’amitié.

 

            Ma vie sentimentale, ma vie sexuelle aussi, furent des échecs cuisants.

 

            J’ai beaucoup aimé imaginer que j’aimais.

 

            J’ai beaucoup écrit. Je crois que j’ai écrit au lieu d’aimer. Pendant que j’écrivais mes histoires, j’étais amoureuse de mes personnages. Lorsque j’écrivais « 7, rue Pierre-Brossolette », je ressentais du désir pour mes deux héros, Luc et Iris, frère et sœur et amoureux l’un de l’autre !

 

            J’ai tant écrit autour de mes vingt ans sur Bastide que je crois que j’ai plus passé de temps à écrire sur lui qu’à l’aimer.

 

            J’ai aimé mes mots d’amour.

 

            J’ai aimé les personnages de roman. J’ai été amoureuse des personnages masculins de « Guerre et Paix », des hommes emportés des « Frères Karamazov », de l’adolescent fugueur de « Catcher in the Rye », des hommes charmants de Sagan, de Julien Sorel, de Darcy, de Mr Rochester… Après tout, pour moi, qu’était Bastide sinon un personnage de roman ? Il l’est d’ailleurs devenu dans le livre de Jérôme Garcin, en 2008, « Son excellence, Monsieur mon ami ». Monsieur. Monsieur Bastide. Un homme aimé si fort dans la chaleur de l’été 1976, l’été où j’écrivis mon plus beau texte sur un homme. J’étais emportée par une passion brumeuse des vapeurs de cet été-là. Dans une demi-vérité, dans un imaginaire totalement personnel, dans une vie rêvée (Bastide a écrit d’ailleurs un roman intitulé « La Vie rêvée »).

 

            Et Marc Valloire fut un rêve aussi. Un rêve brouillé de cinéma.

 

            Et Patrice fut un rêve. Avec Nelly. J’allais chez eux à Gentilly en 1984-85 et j’écrivis alors un roman : « La Lune en plein jour ».

 

*

 

            Je n’ai pas le courage ce jour (24 juillet 2013) de ressortir de ma pile (là-haut sur le buffet de ma grand-mère) de tous les manuscrits de mes romans (nouvelles…) refusés pendant trente-cinq ans cette « Lune en plein jour ». Non. Et puis je n’aurais pas le courage, pas la force de relire ce roman de mes trente ans. Le roman de mes fantasmes amoureux.

 

            Et pourtant, quand je le donnai à lire à Marc et à Jean-Pierre O., ils crurent bien que C’ETAIT ARRIVÉ. L’amour, les amours, les nuits avec Patrice, les nuits à plusieurs ! La romancière que j’étais arrivait à faire croire à mes fantasmes. Extraordinaire ! J’en fus assez flattée. Flattée de faire croire à l’impossible, flattée de me donner une vie agitée que je n’avais pas.

 

            Il faut dire que, concentrées sur huit années dans mon Beau Paris, j’ai testé toutes les sensations amoureuses : Bastide pas si loin encore, Marc, Pierre, la beauté et la gentillesse de Patrice et Nelly (que j’avais fini par confondre dans ma création romanesque) dans leur appartement de Gentilly. Et l’histoire entre Jules-Pierre-moi ! J’avais été, en si peu de temps, tellement amoureuse de mes amis et tellement enflammée par la création artistique autour de moi : Cyril, Marc, Jean-Baptiste et Pierre (rien que ça !) dessinaient et peignaient, Marc faisait aussi de la critique de cinéma, j’écrivais des nouvelles et des romans, Pascale faisait des mosaïques, nous avions tous la tête dans les écrans de cinéma ! Dans les étoiles ! J’avais complètement la tête dans les étoiles malgré les boulots idiots et les patrons racistes. J’étais ailleurs. J’ai toujours été ailleurs.

 

            La plus grande preuve d’amour fut, en 1975, mon vol de « la Fantaisie du voyageur » de François-Régis Bastide dans la librairie de la galerie marchande de la gare Saint-Lazare. J’eus des ailes. Par cet acte (que je ne renouvelai jamais), j’aimai « mon » écrivain. Le cœur battant très fort, je rejoignis mon train pour Conflans. Je n’avais pas couché avec Bastide, mais j’avais volé son livre. Volé, moi l’enfant sage d’alors !

 

            Après ma folie pour Bastide, après Sternberg au café de Flore, après mes lettres échangées avec Roland Duval (tout cela en 1975), qui pouvais-je aimer ? Je ne pouvais que retomber de très haut. Je ne me fis jamais éditer. Même Marc Valloire, quelques années plus tard (qui lui fut journaliste et édité) fut moins que tous ces écrivains, et lui aussi malgré tout hors de ma portée, évanescent, irréel, imaginaire. Et le voilà, par ce manuscrit, « personnage ».

 

*

 

            Oui, je ne fus jamais douée pour le vrai, la réalité, le quotidien, la chair, les amours vécues. J’ai heureusement nagé entre un mari vagabond, le travail et sa contrainte, les écueils. Je ne suis pas morte. J’ai réussi (malgré tous mes efforts) à ne pas être passée de l’autre côté.

 

            Je suis là, devant mon ordinateur en 2013 (alors que je fus pendant des dizaines d’années devant des feuilles de papier), transformant mes amis 80 en personnages imaginaires, les seuls que j’ai toujours aimés et qui m’ont toujours secourue. Pierre est « l’homme aux semelles de vent », Jules est l’Ami, Marc le cinéma et le romantisme, Patrice un très beau passant, Nelly une hirondelle, Sonia une petite souris de conte.

 

            Je revois Pascale Pigeon, en 1985, devant ses mosaïques « monetiennes », rien ne la faisait sortir de son rêve intérieur. Elle était comme moi, ailleurs. J’ai recherché Jean-Baptiste et Pascale sur internet. Jean-Baptiste est toujours à Paris, mais Pascale ne semble plus être là.

 

            Plus dans mon beau Paris des années 80, rue de la Condamine. Et plus aux Beaux-Arts. Comme moi, qui ne pus jamais publier, elle ne put jamais vivre de ses mosaïques. Elle a disparu de Paris, comme Pierre, comme moi. Qui sait si nous existons encore, en dehors de l’imagination de Lucile ?

 

(à suivre)

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"D'un tableau de Constable", nouvelle fantastique parue ce jour (19/8/13) sur le site http://www.les-ecrits.fr

 

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