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Biographie De L'auteur

  • : Le blog de Joëlle Carzon écrivain du Loiret
  • : Ce blog est destiné aux écrivains et aux lecteurs qui aiment romans et poésies. Il présentera tous les écrits et toutes les activités de Joëlle Carzon, auteur de poèmes et romans. Ce blog n'est pas destiné à recevoir des messages violents, ou politiques, ou religieux. (Suite à un messages troublant reçu ce jour : 25/12/12)
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22 octobre 2015 4 22 /10 /octobre /2015 14:38

Il mit sa main dans la sienne. Une si grande main. Il l'obligea presque à prendre sa petite main. "Je suis là, je suis quand même là...", n'osait-il pas dire à haute voix. "Je suis ton petit frère et je suis là. Pense que je suis là ! Regarde-moi !"

Regarde-moi ne serait-ce qu'un instant.

Yannick avait les yeux vagues, les yeux perdus. Marco avait été si reconnaissant que son frère veuille bien de lui pour cette promenade... Une promenade en forêt ! A eux deux ! Rien que pour eux deux !

D'habitude, on se promenait en famille. Papa qui croyait connaître tous les champignons. Maman qui parlait et parlait. Marie qu'on avait toujours peur de perdre. Yannick qui ne disait rien, mais souriait quelquefois. Il y avait de l'indulgence dans son sourire, un peu de lassitude. Ces promenades en forêt, en famille, n'étaient pas désagréables, mais Marco aurait voulu... que papa se vante moins, que maman se taise cinq minutes, que Marie arrête de faire des bonds à droite et à gauche... Et il aurait tant voulu, oui ! que Yannick soit à lui tout seul, Yannick le jeune homme, l'étudiant de la ville lointaine, Yannick "mon grand frère".

Marco aurait voulu lui raconter l'école, la maîtresse sévère mais qu'on aimait quand même, ses jeux avec Marie, et ses jeux sans Marie. Lui dire qu'une sœur c'est bien, mais qu'un peu trop de présence féminine ça étouffe un peu, on a besoin, oui, de quelqu'un d'un peu moins bavard, de plus grand. Une présence peut-être plus discrète (à la voix), mais la présence... d'un homme.

Car pour Marco, Yannick avait toujours été l'homme de la famille. Il lui montrait ses notes, ses constructions, il lui demandait pour les tours de cartes, Marco attendait que Yannick fût là. On ne pouvait pas révéler les choses sérieuses sans lui.

Mais Yannick ne disait rien. Il semblait plongé dans un grand songe à lui. Il tenait la main de Marco sans la tenir. La maison était loin, la forêt était presque absente. On était en forêt et on était ailleurs, dans un no man's land où le petit Marco n'avait pas vraiment sa place. Il fallait signaler sa présence, dire à Yannick : "Je m'appelle Marco, et nous sommes en forêt, tous les deux, tous les deux seuls sans la famille, c'est exceptionnel, et tu dois être là pour moi." Marco jeta un coup de pied dans les feuilles. Yannick ne leva pas un sourcil.

Comment dire à Yannick que la vie sans lui avait un goût de pièce vide, d'inachevé ? Que quand il venait le week-end c'était une vraie maison, une vraie joie ? Marco fit un bond, Yannick poussa un petit soupir.

- Tu aimes l'automne ? dit le petit garçon.

Yannick ne dit rien.

- Moi j'aime l'automne. La couleur des feuilles, tout ça... Si je pouvais, je me perdrais en forêt.

Pas de réaction.

- Je me perdrais, je me perdrais, et on ne me retrouverait pas !

Cette fois, Yannick sembla entendre. Il secoua la tête, comme un chien. Il eut un vague sourire.

- On retrouve toujours les petits garçons perdus, dit-il.

- Comment me retrouverais-tu, toi ?

- Je saurais. Je t'entendrais. Tu as de la voix.

- Et si c'est toi qui es perdu, crois-tu que moi je te retrouverais ?

Yannick se tourna vers son petit frère. Il était surpris par la question. Heureux, Marco vit qu'il avait enfin éveillé l'attention de son aîné.

- Oui, crois-tu que je te retrouverais ? Je suis si petit !

Yannick sembla réfléchir, quelques instants, puis sembla abandonner l'idée de répondre. Il y eut un moment de silence. Quand Yannick reprit, ce fut brusquement :

- Je me perdrais bien en forêt, moi, là, je me perdrais bien et ça m'arrangerait qu'on ne me retrouve pas !

C'était un cri du cœur. Marco l'entendit comme tel et blottit sa main dans la sienne.

- Je ferais tout pour te retrouver. Moi, ça ne m'arrangerait pas que tu sois perdu. Ça n'arrangerait personne, nous t'aimons !

- Aimer, qu'est-ce qu'aimer ? dit Yannick presque tout bas.

Marco réfléchit, mais il fallait réfléchir vite.

- C'est vouloir que quelqu'un soit là tout le temps, dit-il d'une voix rapide. C'est être triste quand il s'en va, c'est trouver la maison vide. La maison est vide quand tu n'es pas là !

Yannick sourit enfin et sembla, pour la première fois depuis le début de la promenade, être avec lui.

- Comme tu es gentil ! Oui, comme tu es gentil, mon petit frère... Mais tu es si petit...

- C'est mal d'être petit ?

- Non, bien sûr que non. C'est même bien. C'est agréable de faire des promenades avec toi... Je préfère être avec toi qu'avec quiconque. Mais tu sais...

- Quoi ?

- Tu sais, c'est si difficile en ce moment.

- Pourquoi ?

- Ce sont des histoires de grandes personnes.

- Nous aussi, les enfants, nous avons des histoires de grandes personnes. Je me sens comme une grande personne quelquefois. Oui, oui, nous avons le même genre d'histoires.

- Lesquelles ?

- Les chagrins, les disputes, quand on rate quelque chose... C'est comme pour les grandes personnes, tu sais.

- Alors..., tu as déjà été amoureux ?

Marco songea à Léa, à ses cheveux roux bouclés, à son rire, à son cœur qui battait fort quand ils couraient ensemble. Etait-ce cela être amoureux ? Oui, il se dit que ce devait être cela.

- Oui, avoua-t-il dans une grande inspiration.

Yannick ne put s'empêcher de rire. Mais c'était un rire sans joie, un rire de complicité triste.

- Eh bien, moi aussi, petit frère, je suis amoureux... Je suis amoureux... après.

- C'est quoi être "amoureux après" ?

- C'est quand on est con. C'est quand on n'a pas vu "pendant" que c'était bon, que la fille était une chouette fille, et qu'on ne lui a pas dit.

- Tu ne lui as pas dit que tu étais amoureux d'elle ! s'écria Marco, comprenant toute l'histoire.

- Pire que ça. Je la taquinais, je me moquais d'elle, je lui disait même qu'elle pouvait aller avec d'autres mecs. Nous prétendions être libres, tu vois ?

Marco le regardait gravement. Yannick poursuivit :

- Non, tu ne peux pas voir. Je suis sûr que tu l'as dit, toi, que tu l'aimais, à ta petite amoureuse.

- Non... Mais je crois que je vais lui dire. C'est quoi "être libre" quand on est avec une fille ?

- C'est aller... Je ne vais pas t'expliquer ça ! C'est jouer avec le feu en fait. J'ai joué avec le feu.

- Tu aurais dû la prendre dans tes bras, et la serrer très fort, et lui faire des serments d'amour ?

- Oh, oui ! Je me suis cru très fort. Je me crois toujours très fort, quel con ! Mais toi aussi tu me crois fort, n'est-ce pas ?

- Tu ES fort.

- Ah ? Mais alors pourquoi, en cet instant, j'ai envie de pleurer ?

- Parce qu'elle n'est pas là et que tu la crois très loin. Elle habite loin ?

- Non, pas très loin.

- Va la voir !

- Comme cela te semble facile, petit frère ! En fait, c'est comme s'il y avait mille kilomètres entre nous.

- Tu as ta voiture, tu es venu avec. Va prendre ta voiture, et tu pars, tant pis pour papa et maman, et tu vas rejoindre... Comment elle s'appelle ?

- Emilie, murmura Yannick.

- Tu vas taper à la porte d'Emilie et tu lui cries à travers la porte : "Je t'aime ! Je t'aime !"

Yannick sourit. Il se remettait à aimer les arbres autour, qui tout à l'heure lui paraissaient une prison, il se remettait à aimer le crissement des feuilles par terre, le ciel là-haut, sa famille, son petit frère malin.

- Tu te crois malin, dit-il d'ailleurs à Marco, mais dans sa voix le petit garçon ne saisit aucune trace d'hostilité.

- C'est toi qui n'es pas malin de perdre ton temps à te promener avec moi, dit Marco qui sentait déjà son cœur se briser à l'idée que son frère allait s'en aller.

Marie l'agaçait, son père et sa mère étaient trop souvent bien loin de lui, trop pris par la vie quotidienne. Avec Yannick c'était plus facile, il pouvait plus parler. Yannick avait le don de le faire se sentir plus "grand".

- On retourne à la maison ! s'exclama Yannick.

Ils ne coururent pas, il volèrent. Marco était très essoufflé, mais il ne se plaignit pas. Dans sa tête, le grand Yannick conjuguait le verbe aimer à tous les temps.

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