Lou se tenait sur son lit, les jambes croisées. Antoine était sur son ventre. Papa vint, pour la deuxième fois.
- Tu dois te lever, Lou, il est temps.
- Il est temps de quoi ?
- D’aller prendre ton petit-déjeuner. Puis d’aller à l’école.
- Antoine doit prendre son petit-déjeuner d’abord, dit Lou, montrant son ours.
- Il peut descendre avec toi.
Antoine tenait chaud à Lou. Elle avait mal au ventre. Allait-elle le dire à papa ?
- Antoine ne peut prendre son petit-déjeuner qu’ici… Et maman ? dit Lou qui savait ce qui allait venir.
- Ta maman a très mal à la tête ce matin, c’est moi qui m’occupe de toi aujourd’hui.
Comme hier. Comme avant-hier. Comme lundi. Maman a mal… à la tête, au ventre, aux épaules, à l’estomac, aux jambes…
- Et si moi aussi j’avais mal à la tête ? dit Lou comme prise d’une inspiration.
- As-tu mal à la tête ?
- Non.
Elle avait mal au ventre. Bien mal. Le réconfort d’Antoine allait en diminuant.
- J’ai mal… J’ai faim !
- Alors il faut descendre.
Papa était très patient. Papa était un ange. Il ne s’impatientait jamais quand vous aviez mal, ou faim, ou quand vous étiez désagréable comme mamie l’autre jour.
- Et si je ne descends pas ?
- Veux-tu que je te porte ?
Elle devait être bien lourde pour papa maintenant.
Papa s’en alla. Lou allongea une jambe, puis l’autre. Elle avait mal. Elle lâcha Antoine. Si elle disait qu’elle avait mal, papa le répéterait à maman et maman se fâcherait. « Une diversion pour éviter l’école ! »
Alors, Lou se leva et s'habilla, un peu difficilement. Quand elle eut fini, elle prit Antoine.
*
Impossible de manger. Papa était distrait, plongé dans des pensées qui ne semblaient pas gaies. Lou décida de donner à manger à Antoine à sa place. Antoine n'avait pas mal au ventre lui...
- Rémi...
Maman était dans la cuisine, en robe de chambre et se pressant le front avec un gant.
- Ma chérie ?...
- Il y a des courses à faire ce soir. Tu passeras au pressing et... (Elle réfléchit.) Ah, oui, et bien sûr n'oublie pas la petite.
- Bien sûr que non ! dit Rémi d'un ton légèrement impatienté.
- Je ne pense pas que je vais pouvoir faire grand-chose aujourd'hui...
- Fais ce que tu peux, ma chérie.
- Maman !
- Quoi ?
- Antoine n'a pas bien pris son petit-déjeuner.
- ...
- Oh ! il met sa main sur sa tête. Peut-être qu'il a mal aussi ?
Madame Deschamps prit un air las et se tourna vers son mari.
- Dis-lui de se dépêcher.
- Allons, Lou...
- Mais peut-être que si on le soigne, il ira mieux ? Maman, donne-lui un cachet...
Madame Deschamps s'éloigna de quelques pas.
- Je vais lui donner quelque chose, dit Rémi à sa petite fille.
Il fit semblant de prendre un cachet sur la table et mit le nez de l'ours dans un verre.
- Ah ! s'exclama l'enfant.
Elle avait presque décidé de rester là, recroquevillée sur sa chaise, tant elle avait mal, mais le geste de son père lui redonna du courage. Oui, elle irait jusqu'à l'école avec lui, ce n'était qu'un tout petit mal. D'ailleurs, Antoine était en pleine forme.
*
Que papa marchait vite ! L'école n'était pas loin, mais que papa marchait vite ! Que leur ville était grande, et que leur quartier était grand, et que les grands étaient grands avec leurs grands pas ! Pas loin de l'école, une dame arrêta Rémi dans son élan.
- Bonjour, Rémi ! Quel plaisir de vous voir !
- Ah, bonjour, Luce. Les enfants et Patrick vont bien ?
- Tout le monde est en pleine forme. Et notre petite Eliane ?
- Un léger mal de tête ce matin, je le crains.
- Rémi, il faut prendre plus au sérieux les maux de votre femme. Notre Eliane est une personne fragile.
- Je le sais, Luce.
De nouveau, ce ton légèrement impatienté de papa. Lou tenait son ours d'une main et son ventre de l'autre.
- Lou a le droit d'emmener son jouet à l'école ? demanda Luce à Rémi, puis à Lou : Tu as le droit ?
Lou fit une grimace de douleur.
- Elle n'est pas bien polie...
- Elle est encore petite, dit Rémi, agacé.
Plus personne ne regardait Lou. Antoine pendait à son bras, ayant de plus en plus l'air maltraité. Lou se mit à pleurer sans faire de bruit.
- Je suis content de vous avoir vue, disait Rémi.
- Je dois songer à vous inviter avec Eliane...
Antoine s'écrasa sur le sol, presque désarticulé. Lou tomba par terre et se mit à hurler en se tenant le ventre.
- Mais que se passe-t-il ?
Lou hurlait. La douleur était devenue réellement insupportable.
*
L'ambulance était là et la petite Lou allongée sur une civière.
- Là, là..., disait Rémi, les larmes aux yeux. Pourquoi ne nous as-tu pas dit que tu avais mal ? Là... Tout va bien se passer...
- Papa, papa...
- Quoi, mon petit chou ?
- Mais sans moi, tu vas être tout seul...
30/10/15