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Biographie De L'auteur

  • : Le blog de Joëlle Carzon écrivain du Loiret
  • : Ce blog est destiné aux écrivains et aux lecteurs qui aiment romans et poésies. Il présentera tous les écrits et toutes les activités de Joëlle Carzon, auteur de poèmes et romans. Ce blog n'est pas destiné à recevoir des messages violents, ou politiques, ou religieux. (Suite à un messages troublant reçu ce jour : 25/12/12)
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20 juillet 2013 6 20 /07 /juillet /2013 13:51

 

            Eté 1982 : Pierre s’en va. « Ailleurs l’herbe est plus verte. » Avec Pierre, ailleurs sera toujours plus vert. En l’occurrence, Lamanon brûle sous le soleil. Pierre ramasse du foin chez un patron en compagnie du seul garçon resté dans cette ferme « anarcho-écolo-libertaire » où se réfugia un jour Jules. On va aux WC derrière la ferme. Je vais le rejoindre en août. Pierre me laisse seule les moments où il devrait être là. Il va à la recherche de cannabis, mais je ne m’en rends pas vraiment compte. Je plane comme d’habitude. Ou je me fais des plans parano : « Pierre m’abandonne. Il devrait être en train de me dorloter et il n’a même pas besoin d’être avec moi le peu que je suis là. » En fait c’est horrible. Je fais semblant de trouver tout normal, y compris cette fille qui loge aussi dans cette ferme, qui médite des heures dès cinq heures le matin et qui ne raconte que des histoires de défonce. Certes Pierre s’est musclé avec les foins et est devenu un très beau jeune homme. Mais ces WC au fond du jardin, ces gens aux discours qui ne me correspondent finalement pas le moins du monde, et cette chaleur insupportable. Ma famille et moi avons toujours détesté la chaleur. J’ai des ancêtres chtimis et normands.

 

            Il fait infernalement chaud et je pleure sur un lit bancal, en Provence, loin de mon beau Paris. Je n’ai rien à faire là. Je n’ai rien à faire avec ce type de gens. Et je mettrai plus de dix ans ensuite à m’en rendre compte.

 

            Pierre m’abandonnera peut-être une saison. Puis il reviendra à Paris la queue entre les jambes. Fin 1984, il repartira. Encore. Se faire gifler par le docteur G. dont il me parle depuis des années. Une espèce de psy pas commode qui sembla quand même faire du bien à Pierre. Ce fut alors un faux départ. Il avait l’habitude de faire du stop et le stop ne marcha pas ce soir-là à partir de Paris. Je croyais qu’il était parti pour de bon. Lui raccrochai-je au nez ? Il appela Jules qui le reçut à contrecoeur. Faux départ. Départ mélodramatique et ridicule. Même le gentil Jules fut exaspéré. Il se plaignit de Pierre à moi au téléphone. Je crois que nous n’en pouvions plus. Pierre et ses nombreux petits jobs, Pierre et ses disparitions qu’il n’expliquait jamais, Pierre et sa Kro, Pierre et ses pétards. Nous approchions de la trentaine. Je crois que Jules commençait à avoir besoin de calme, d’une vie stable, d’un ami définitif. Et moi je n’en pouvais plus non plus. Je n’en pouvais plus de me faire du souci, de me demander où il avait disparu et pourquoi il quittait notre appartement rue Lécluse soudain, sur des lubies. Je n’en pouvais plus des récits de son enfance qui me cassaient le moral. J’avais dépassé le stade « c’est du Dickens ».

 

            Et l’argent. L’argent, l’argent, l’argent. Nous n’avions jamais d’argent. Curieusement, je ne me suis jamais dit que Pierre aurait dû participer aux paiements du loyer, du chauffage, de l’électricité, de la bouffe… Si nous n’avions pas d’argent à mon avis, c’était la faute de mes boulots idiots et de mes salaires trop bas. Je n’ai jamais songé à réclamer auprès de Pierre. C’était mon bébé. Il était normal que je le nourrisse. Je fus rédactrice dans une compagnie d’assurances imbécile, secrétaire chez un expert (catholique et fasho) auprès des assurances, intérimaire, secrétaire dans une maison d’éditions médicales, correctrice… Je travaillais moi, et déjà c’était moi qu’on engueulait (ma mère, ma banque…). « Pourquoi ne savez-vous pas garder l’argent ? »

 

            Ah, oui, tiens, pourquoi donc ? C’était cher le ciné, les concerts d’Higelin, mais aussi la Kro, les pétards.

            Début 85, le départ (finalement il avait réussi à quitter Paris) de Pierre fut un extraordinaire soulagement. Je retrouvai Marc et son cinéma (puis ses dessins, ou les deux ?) et une liberté qui me permit quelque temps d’être correctrice à domicile. Je travaillai même deux mois à Neuilly, au Haut-Commissariat-pour-les-Réfugiés dépendant de la Suisse (c’était Marc qui m’avait pistonnée pour un arrêt maternité). La classe en fait.  Et je me réfugiai moi chez Nelly et Patrice, puis plus tard chez Christophe et Sehra, des amis de Marc.

 

            Je devins pendant un an et demi une petite célibataire qui se faisait chouchouter par de jeunes couples. J’étais d’une fragilité extrême, je l’ai toujours été. J’ai toujours trouvé le moyen de passer entre les gouttes, entre les orages, et même les pires orages, parce qu’il y avait toujours quelqu’un, sur mon chemin, pour me prendre sous son aile. Toute petite je me souviens, lors de vacances à Turriers (le début de la montagne avec mes parents, avant Fond-de-France, puis Saint-Christophe-en-Oisans pendant plus de dix ans) (à Turriers j’avais peut-être cinq ou six ans), je fus la cible d’un groupe de gamins qui, m’entendant tousser, me dirent qu’ils allaient m’éviter car la coqueluche était contagieuse ; une gamine de mon âge accourut à ma rescousse et déclara aux autres qu’il n’était pas question de me mettre à part. Elle m’entraîna dans son sillage, se décréta mon amie protectrice. C’était ma première « petite maman », il y en eut bien d’autres toute ma vie.

 

            On me dorlotait, on me réconfortait. Sonia se chargea plus d’une fois de me remettre sur les rails, de me dire que j’étais jolie, que j’étais intelligente, qu’il ne fallait pas que je m’en fasse tant. « Allons, Lucile, mais tu vas t’en sortir ! »

 

            Le mieux c’était les couples. Une femme, mais aussi un homme, une maison, de la nourriture dans mon assiette, du vin dans mon verre. On aurait pu me faire fumer aussi à cette époque (mais je ne fumais pas). On ne me bordait pas le soir, mais… Mais si, presque : je me demande si Patrice et Nelly ne m’ont pas plus ou moins bordée ! Ils étaient désolés que Pierre soit parti, m’ait laissée toute seule. Je pouvais aller chez eux le week-end, j’étais la bienvenue. Rue Albert Guilpain, 94 Gentilly.

 

            Il faut dire que j’étais (et je le suis toujours) bavarde (toujours des confidences à faire, toujours des films à raconter), plutôt marrante, très sociable. Le rire au bord des larmes. Comme Nelly. Mais alors je ne le savais pas. Au bord du suicide, mais proches d’autrui et pleines d’affection et d’amour.

 

            Nelly était une mince bretonne aux cheveux courts. Elle se fit raser la tête un jour, à notre grande consternation. Elle se vêtait robes indiennes et mettait souvent un foulard dans ses cheveux. Elle disait aimer surtout les femmes, ce qui me laissait dans la perplexité (elle vivait avec Patrice !). Et cela ne semblait pas troubler Patrice le moins du monde. Un jour, elle nous dit, et nous avions beaucoup ri : « Comme ce serait bien s’il y avait la guerre ! Nous ne serions plus qu’entre femmes. » Elle était semblable à tous mes amis : faisant traîner les années 70 dans les années 80. Les filles de vingt ans avaient alors abandonné les fichus indiens.

 

            Nous vivions pas terre. Chez moi, chez Sonia, chez Nelly. Nous mettions par terre les coussins, la théière, nous étions en rond et discutions pendant des heures. Je ne sais pas si les jeunes d’aujourd’hui font encore cela. Tous étaient d’extrême-gauche,  un peu écolos. Etais-je moi aussi d’extrême-gauche ?... J’ai toujours eu un train de retard, comme je l’ai déjà dit. Toujours en panne d’une information (en plus pas de télé chez moi). En général je tombais des nues. Mais j’ai toujours voté Mitterrand. Jules et Pierre disaient : « Gauche-droite, piège à cons. » Ce n’était pas la façon dont j’avais été élevée. Mon père disait fermement que les ouvriers s’étaient battus longtemps pour un jour voter et que voter était un devoir. Mon père avait bien grimpé l’échelle sociale, mais dans sa tête il se considéra à jamais comme un ouvrier.

 

            Je pense que Jules et Pierre étaient complètement anars. Ils étaient « coluchiens ». Ils adoraient Coluche, et si moi je pleurai à la mort de Truffaut, eux ils pleurèrent à la mort de Coluche. Quant à Patrice, ses discours sur « la mentalité judéo-chrétienne », qu’il ressortait sans arrêt, nous faisaient rire, Jules et moi. Jules me déclara un jour que Patrice était « un peu con », mais c’était trop tard pour moi. J’étais amoureuse.

 

            J’étais amoureuse d’un mec plutôt beau, au visage régulier, au corps de sportif, aux multiples talents. C’était venu petit à petit. A force d’aller me faire chouchouter chez Nelly et Patrice, j’avais fini par bien les connaître. Par bien les REGARDER. Et Patrice était vraiment pas mal. Ils étaient disponibles, moi aussi. Et Patrice était doué. Je me suis toujours, toute ma vie, laissée éblouir par l’intelligence, le savoir, le talent. Les talents. Ce n’était pas pour rien qu’à vingt ans j’étais tombée amoureuse de François-Régis Bastide. D’abord simplement en l’écoutant à la radio, puis en allant au « Masque et la Plume ». Rien que de le voir de loin, j’avais du soleil partout. Bastide était ECRIVAIN (ah ! écrivain !), c’était un excellent musicien, il parlait plusieurs langues dont le suédois, il faisait de la politique, il interviewait comme un dieu. Il était romancier, éditeur, musicien et bientôt ambassadeur. Pareil, c’était venu en douceur et je crois qu’un matin, je m’étais réveillée sur un rêve érotique où il était là. Présent à jamais. La tête dans les nuages, Lucile. La tête dans un monde où je n’avais pas le droit de pénétrer. En fait, ce que j’aimais c’était l’inaccessible. Le soleil, le ciel.

 

            A trente ans, j’avais quand même fini par renoncer à l’inaccessible. Patrice était un tout petit peu plus accessible. Aimer ce qu’on pouvait toucher. Ne plus aimer le vent. Patrice était un musicien de jazz, il jouait dans un groupe. Il aimait les maths et la physique, et en faisait le soir après le travail. Il lisait bien sûr (c’est lui qui me passa « Don Quichotte ») et, à mon époque de cocooning  à Gentilly, il faisait de la photo. Il s’était exercé à Paris chez Sonia, et aussi dans la rue, en faisant nos portraits : de Pierre et moi. J’ai encore ces photos noir et blanc. Nous avions posé. Pierre était incroyablement mignon, et très comédien. Patrice chercha à m’expliquer combien faire de la photo avec un bon appareil était agréable et créatif ; je ne demandais qu’à être convaincue, assise par terre près de ce beau jeune homme, mes yeux posés sur lui, pleins d’admiration. Patrice ressentait bien cette admiration. Ensemble, nous caressions les chats (ils avaient une collection de chiens et de chats) et nos mains parfois se touchaient presque. Nelly allait se coucher. Nous restions seuls lui et moi, caressant les chats.

 

            Il ne se passa rien bien sûr. Comment un homme aussi séduisant aurait-il pu m’aimer ? Bastide ne m’avait pas aimée.

 

            Il me prêta le fameux appareil photos, avec force recommandations. J’avais entre les mains l’appareil de Patrice ! J’allai Parc Monceau faire des photos. J’apportai cet appareil photos chez mes parents, à Noël, ne pouvant pas m’empêcher de parler de Patrice à mon père. Papa fit avec de belles photos de moi, ce qui me ravit. Mon père avait touché l’appareil photos de Patrice. Nous étions fixés à jamais en noir et blanc (j’aime avant tout le noir et blanc, au cinéma et en photographie). Les œuvres de Patrice et de mon père sont toujours là, à Gien, en 2013, classées dans mes photos préférées.

 

            Et puis, en 1984, naquit la fille de Nelly et Patrice, Célia. Ce bébé fut le premier bébé qui naissait dans ma vie, chez des amis. Il serait suivi de Sébastien, le fils de Sonia et Cyril. Le premier bébé, le premier petit bout de chou dans les bras d’amis devenus des parents. Ça comptait. C’était impressionnant. Patrice avec, dans ses bras, un petit enfant. Patrice père. Visiblement il adorait être père, il était fier. Il paraît que les femmes (et j’avais trente ans, l’heure où l’on fait des enfants) sont attirées instinctivement par les pères de famille. Ils ont créé.

 

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